De nouvelles wilayas déléguées avec le même mode de gouvernance qui a prévalu jusque-là peut-il changer la trajectoire du développement régional et local ? Centralisation des politiques de développement, marge de manœuvre réduite pour les assemblées communales et dépendance vis-à-vis des budgets de l'Etat caractérisent la situation au niveau des régions. Kouider Boutaleb, professeur d'économie à l'université de Tlemcen, indiquait dans une étude sur «La problématique de la gouvernance locale» en 2012 que «la gouvernance est un facteur déterminant dans le développement économique régional». Dans ce cas, elle implique la capacité des acteurs privés et publics à «s'organiser de façon consensuelle en vue de se fixer des objectifs communs en matière de développement économique régional». Dans la réalité, en revanche, l'absence d'une politique régionale débouche sur une incohérence et «des problèmes d'articulation entre les actions au niveau central, wilayal et communal, ainsi que des ressources disproportionnées par rapport aux besoins des populations et aux besoins du développement économiques régional», lit-on notamment dans cette étude. C'est peut-être cette incohérence qui fait que la décision de créer de nouvelles wilayas déléguées, si elle est salutaire pour rapprocher l'administration du citoyen, ne semble pas être la priorité pour les populations locales. «Elle est loin de nos attentes, même s'il y a des gens qui ont porté cette revendication compte tenu des difficultés qu'ils rencontrent sur le plus administratif. Mais pour nous, le plus important c'est que les jeunes trouvent un emploi», déclare Hamid Goura, membre de la coordination nationale des chômeurs pour la wilaya de Laghouat. De ce point de vue, la décision annoncée par le gouvernement apparaît plus comme «une décision populiste et dilatoire qui vise à faire diversion sur les vrais enjeux et problèmes et à ajourner ainsi les réformes impératives et structurelles dont le pays a besoin», estime Jughurta Bellache, économiste. Impulser un véritable développement local nécessite «de mettre en place un nouveau modèle administratif et territorial qui prendra en compte les spécificités économiques, sociales et culturelles des territoires, ainsi que leurs potentialités et les besoins et les attentes des populations». La multiplication des entités administratives ne suffit pas, selon notre interlocuteur, à favoriser une meilleure gouvernance et un développement local. D'ailleurs, il n'y a qu'à jeter un coup d'œil sur l'état des communes pour s'en rendre compte. Les communes ont des marges de manœuvre réduites en matière de décisions économiques et d'allocations des ressources. Dans bien des cas, «c'est le wali qui décide à la place des élus locaux, alors qu'ils sont les plus à même d'identifier les besoins de leurs communes», souligne Benlarbi Bayzid, membre de la commission de l'éducation et de l'enseignement supérieur au sein de l'assemblée wilayale de Djelfa Décentralisation La manière dont sont gérées les entités administratives, conformément notamment au nouveau code de la wilaya promulgué en 2012, «ne répondent pas aux critères de la bonne gouvernance et ne favorisent pas l'implication citoyenne dans la conception, la réalisation et la gestion des projets de développement locaux», note Youghourta Bellache. L'une des tares est que le «wali, qui n'est pas élu par la population locale mais désigné par le pouvoir central, incarne le pouvoir exécutif et décisionnel et dispose d'un droit de regard et d'approbation même sur certaines décisions relevant de la compétence des communes.» La gestion au niveau local a besoin «d'une décentralisation administrative. Il faut donner leur autonomie aux collectivités locales et les accompagner par le contrôle», suggère Benlarbi Bayzid, pour qui les textes régissant les wilayas et les communes doivent être révisés. Pour l'heure, la décentralisation est notamment entravée par l'insuffisance des moyens financiers mis à la disposition des collectivités par rapport à leurs besoins. A ce titre, Youghourta Bellache affirme qu'une réelle politique de développement local implique «une réelle décentralisation politique et économique et son corollaire, la réforme de la fiscalité locale à même d'assurer des ressources suffisantes et pérennes pour les collectivités territoriales actuelles et à venir». Il implique aussi la prise en compte de l'aspect «région» dans le but de créer «une complémentarité entre les différents échelons infra-régionaux (wilaya et commune) pour un développement cohérent, harmonieux et solidaire des territoires». Malheureusement, il n'est pas sûr qu'en annonçant la création des nouvelles wilayas déléguées à partir de 2015, le gouvernement ait pris en compte tous ces aspects au vu de l'urgence du moment.