«Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente» (Aimé Césaire) Dans ma famille, on n'a jamais manqué de rien, mais chez nous, avec la culture inculquée par ma grand-mère Hadda qu'on appelait Mouima, le gaspillage était banni car la ressource était précieuse. C'est cette culture et celle de Mahatma Gandhi, selon laquelle la terre peut satisfaire les besoins de ce monde sur Terre, qui m'a imprégné très tôt et m'a fait engager dans la protection des ressources précieuses de la planète.» Le nom de sa grand-mère Hadda, morte centenaire, revenait sans cesse dans son discours. La vieille dame, «véritable musée», une encyclopédie vivante, a façonné la famille dont elle était en quelque sorte la Dame de fer au pouvoir matriarcal. Elle était née à Ouled Djellal, au début du siècle dernier, mais c'est à La Casbah d'Alger, puis à Notre Dame d'Afrique qu'elle vécut, entourée de l'affection des siens. C'est un peu grâce à elle que la saga des Djoghlaf s'émancipa en achetant un terrain sur les hauteurs de Saint-Eugène pour y bâtir une belle et vaste demeure avec vue imprenable sur la baie d'Alger. Douée pour le commerce, la famille en fit son credo. Cela a commencé par une table itinérante, puis la location d'un espace au marché de Bab El Oued, enfin l'achat d'un makhzen dans le même endroit. On y vendait des produits ménagers. «J'y ai passé une partie de mon enfance sous la table d'articles ménagers, c'était le temps de l'insouciance.» Enfance heureuse Comme les affaires prospéraient, d'autres magasins sont achetés par la famille, et le rayon d'activités déborda de Bab El Oued pour aller taquiner la célèbre rue d'Isly. On était au milieu des années cinquante. Mais le point d'orgue fut atteint lorsque la famille s'offrit le grand bazar d'Alger, à l'entrée de la célèbre artère d'Alger. «Mon père, Belkacem, était le cadet, c'est son aîné Mohamed qui gérait les affaires sous l'œil bienveillant mais sévère de ma grand-mère. Un jour, elle s'est cassé le col du fémur et est restée alitée. Je la veillais. C'étaient des moments intenses où elle m'abreuvait de poèmes, d'anecdotes, de chansons et l'art d'utiliser les plantes médicinales. J'ai beaucoup appris d'elle, mais mon grand regret, c'est de ne pas avoir tout enregistré. C'est une perte énorme, car avec sa disparition, c'est tout un héritage qui a été enterré avec elle. Elle était le médecin et la sage-femme de la famille, je lui dois d'être debout et d'avoir sauvegardé mes jambes. Lorsque j'avais 6 ans, j'ai eu une éruption cutanée au niveau des deux jambes. Le médecin qui m'a ausculté avait prescrit une amputation, mais ma grand-mère ne l'entendit pas de cette oreille. Elle m'a confié à une guérisseuse de ses connaissances à La Casbah. Les potions et le plâtre avaient fait l'affaire. C'est de là qu'est né mon attachement viscéral au savoir traditionnel qui mérite d'être conservé et préservé.» C'est sans doute pour cela qu'Ahmed a envisagé la création d'un Centre mondial des plantes médicinales au niveau des Nations unies ; un patrimoine culturel qui a tendance à disparaître. «C'est un devoir pour nous de recenser ce savoir et ces traditions qui sont un patrimoine inestimable de l'humanité et le laisser comme une valeur ajoutée aux générations futures.» Ahmed a grandi dans une grande maison où cohabitaient des dizaines d'enfants, mais il a été le seul à faire des études, les autres ayant plutôt l'esprit commerçant estimaient que cela n'en valait pas la peine. Après des études secondaires assidues et une licence en droit, Ahmed voulait enseigner mais il est parti sans bourse à Lille. «J'ai été chauffeur-livreur chez un Algérien qui fabriquait du pain qu'on livrait tôt en faisant du porte-à-porte. Cela nous rapportait 600 francs par mois. Et, bien qu'exténués après ce boulot, nous rejoignions la fac.» En septembre 1978, Ahmed décroche son DEA en sciences de l'information et de la communication sous la direction d'Hervé Bourges. Il retourne à Alger et effectue son service national à l'issue duquel la DNC lui propose le poste de chef de département juridique avec tous les avantages qu'il décline pour aller à Nancy dans le but d'obtenir le diplôme du Centre européen en soutenant une thèse sur le nouvel ordre économique international. «Il y avait à l'université de Nancy un autre Algérien, Lahouel Abdelaziz, qui me ramenait le journal El Moujdahid et une annonce du MAE qui recrutait sur concours. Il m'avait suggéré de tenter le coup. Ce que j'ai fait en m'illustrant avec 19 des candidats sur les 2000 qui s'étaient présentés. C'est ainsi que j'ai rejoint le ministère des Affaires étrangères en 1980. Je me souviens que mon premier salaire de 2000 DA, dont j'étais fier, je l'ai offert à la femme de mon oncle qui m'avait allaité. J'ai ainsi répondu à l'engagement de ma mère.» Il faut dire qu'Ahmed a été vivement encouragé aussi par son beau-frère Rachid. Le premier poste d'Ahmed dans la diplomatie fut New Delhi, où il officia en qualité de deuxième secrétaire. «J'avais suivi le dossier de la Conférence des non-alignés que présidait Indira Gandhi en 1982 à New Delhi. Noureddine Harbi était ambassadeur dans ce pays. En août 1983, il a été nommé vice-ministre de la Coopération et m'a demandé de rentrer avec lui. Il connaissait mes compétences et m'a pris dans son cabinet. Je venais de me marier.» Par la suite, Ahmed a été nommé sous-directeur par intérim des affaires culturelles et scientifiques des Nations unies où il a été à l'origine du premier accord de l'Algérie avec l'Unicef et le Fonds des Nations unies pour les populations, il a ensuite piloté la conférence des Nations unies pour les femmes à Nairobi en 1985. Ahmed se rappelle que le nouvel ordre s'annonçait et que ses prémices étaient détonnants avec le clash suscité par la chef de la délégation américaine Moree Reagan, fille du président qui s'est plaint de la «virulence» du discours de notre compatriote. Parcours sans accrocs Ahmed a eu le privilège d'être affecté à New York où il s'occupait des affaires économiques et financières de 1986 à 1990, à l'époque de l'ancien Premier ministre de Norvège Brutland, chargé par le Secrétaire général de l'ONU, Javier Perez de Cuellar, de présider un groupe d'éminentes personnalités réfléchissant sur la relation entre le développement et l'environnement. «Le rapport ‘‘Notre avenir commun'' a été publié en 1987. C'est là que le concept de développement durable a été promu. L'ambassadeur du Royaume-Uni, expert en météorologie, avait mobilisé le comité international pour engager des négociations afin de faire face aux effets des changements climatiques. Comme j'ai géré cette question, j'ai été élu vice-président du comité qui a négocié de 1989 à 1992 la convention des Nations unies sur les changements climatiques. On était 30 délégués enfermés pendant 3 jours et 3 nuits au 27e étage des Nations unies. Le rapport final a été présenté à la plénière où nous attendaient les membres de l'assemblée.» Le journal Le Monde de l'époque avait mis en exergue l'intervention d'Ahmed. Par la suite, ce dernier avait été élu rapporteur du comité de préparation de la Conférence de Rio. Il y avait deux candidats : un Algérien et un Nigérian. Ahmed a été élu avec une écrasante majorité. Après l'intermède du MAE de 1990 à 1994, Ahmed rejoint les Nations unies pour préparer la 1re conférence aux Bahamas de la Convention sur la diversité biologique, il a été à l'origine de la décision de l'AG de déclarer une journée mondiale pour la diversité. Il a préparé la deuxième conférence à Djakarta, puis a été directeur de l'unité de coordination du Fonds mondial de l'environnement au titre du programme des Nations unies. Il y exerça pendant 10 ans. A son arrivée, il y avait 6 projets, 5 fonctionnaires et 28 millions de dollars de budget. Depuis, il y a 600 projets, 1 milliard de dollars de budget et 150 fonctionnaires de 58 nationalités. En 2006, Ahmed est nommé par le SG de l'ONU sous-secrétaire général des Nations unies de la Convention sur les biodiversités biologiques. A ce titre, il a fait adopter deux grands rapports internationaux contre les lobbies pharmaceutiques. En 2013, Ahmed rentre à Alger. En 2014, il est le candidat de 132 pays pour présider avec l'Américain Dan le comité qui est en train de négocier l'accord de Paris qui sera adopté en décembre 2015, où 40 000 délégués et une centaine de chefs d'Etat seront présents. «La plus grande conférence diplomatique jamais organisée par la France.» L'enjeu de la Conférence de Paris sur le climat est d'adopter un accord universel et ambitieux qui permettrait de limiter l'augmentation de la température de la planète à moins de 2 degrés centigrades. La Conférence de Paris devra également adopter des engagements ambitieux pour la période intérimaire entre 2015 et 2020. L'accord de Paris entrera en vigueur en 2020 et remplacera donc le Protocole de Kyoto, adopté en 1997, et qui n'a pas réalisé ses objectifs de réduction de 5% des émissions des gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990. Ahmed est-il optimiste ? La Conférence de Paris ne sera-t-elle pas un autre échec, une sorte de Copenhague bis ? Les 40 000 participants attendus à la Conférence de Paris auront rendez-vous avec l'histoire. L'échec n'est ni envisageable ni réalisable. On se doit de réussir. Il y va du devenir de nos enfants et de la planète. Le récent accord sur les changements climatiques entre le président américain et le président chinois constitue, sans nul doute, un événement historique sans précédent entre les deux principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre qui représentent plus de 50% des émissions globales de la planète. Le Plan climat, récemment adopté par les 28 pays membres de l'Union européenne, est un autre présage du succès de la conférence. L'Algérie n'étant pas épargnée, il serait intéressant de connaître les impacts de ces changements sur des pays comme le nôtre. Le réchauffement de la planète est non seulement scientifiquement prouvé, il est aussi prouvé qu'il est le fait des activités humaines. L'année 2014 aura été, selon la NASA, l'année la plus chaude jamais mesurée dans le monde. Le parcours d'Ahmed, assez singulier, incite à l'optimisme, et peut susciter des vocations sachant que rien n'est acquis à l'homme, ni sa force, ni sa faiblesse. Ahmed, quant à lui, ressent une immense fierté en tant que citoyen algérien et en tant que cadre du ministère des Affaires étrangères à être à côté de son ami Dan du Département d'Etat américain, un vétéran des négociations sur le climat, aux commandes de cette entreprise historique dont les enjeux sont de sauver la planète et de préserver la coopération multilatérale du climat pour laquelle il ne saurait y avoir d'autres alternatives. Fidèle à l'authenticité, Ahmed aime bien se ressourcer dans le terroir. «Emsed min tinek, la makhradj borma yokhroudj keskes».