Au moment où deux grandes affaires de corruption sont jugées à Alger et Blida, le ministre de la Justice, Tayeb Louh, a instruit les parquets généraux à «s'autosaisir lorsqu'il s'agit d'une affaire susceptible d'avoir un impact sur l'opinion publique». Une opération de marketing politique ou une tentative de prise de distance vis-à-vis d'un Exécutif accablé par les scandales de corruption, cette instruction suscite des interrogations au regard du contexte actuel. Surprenante, la déclaration du ministre de la Justice et garde des Sceaux. Il choisit le moment où deux grandes affaires de corruption – autoroute Est-Ouest, Khalifa Bank – sont jugées en ce moment à Alger et à Blida. Tayeb Louh a déclaré, avant-hier, que «le parquet général doit s'autosaisir automatiquement dans toutes les affaires suscitant l'intérêt de l'opinion publique et engager les procédures judiciaires qui s'imposent». Il a révélé que des instructions «instructions écrites ont été transmises à tous les parquets généraux pour leur rappeler ce principe et les inviter à s'autosaisir lorsqu'il s'agit d'une affaire susceptible d'avoir un impact sur l'opinion publique». Le ministre ne précise pas plus que cela sa pensée. Mais le contexte dans lequel cette déclaration est lâchée laisse entrevoir le climat «intenable» qui règne au sein d'un gouvernement ébranlé par les scandales en série. Les procès autoroute Est-Ouest, Khalifa Bank et Sonatrach dans lesquels tout l'establishment algérois est mis en cause. Des noms de ministres en fonction ou mis à la retraite dorée, de hauts gradés de l'armée sont abondamment cités comme étant de véritables acteurs d'une corruption gigantesque. En effet, ces scandales ne suscitent pas seulement «l'intérêt de l'opinion publique», mais les Algériens sont profondément choqués par leur ampleur. Ces scabreuses affaires portent une grave atteinte à l'intégrité des institutions déjà largement discréditées par ceux-là mêmes qui étaient censés donner l'exemple en matière de rigueur et de probité. Pas un secteur n'est épargné par les malversations, les pots-de-vin, les commissions occultes et autres détournements. Y compris les plus névralgiques : l'énergie, l'armement, les travaux publics, les transports, la culture, l'agriculture, la santé, l'administration. La corruption est érigée en mode de gouvernance. Quel crédit donner alors aux propos du ministre qui dirige un département stratégique mais à qui l'indépendance fait défaut ? Tayeb Louh, lui-même magistrat-syndicaliste avant de devenir ministre, n'ignore pas la chape de plomb qui pèse sur les juges. Ils sont ligotés. La démonstration de cette soumission à l'Exécutif a été donnée une nouvelle fois à l'occasion du procès de l'affaire autoroute Est-Ouest où les «gros bonnets» échappent impunément aux mailles de la justice. Ministres, hauts dirigeants et protégés du régime sont hors de portée des magistrats. Les paroles du ministre auront un sens si elles sont suivies d'actes concrets. Pas si évident lorsque l'opinion publique dont parle Tayeb Louh assiste, stupéfaite, à l'incapacité de la justice à faire venir à la barre les Chakib Khelil, Farid Bedjaoui et Réda Hemch et autres «voyous de la République». Les mots du ministre auront du crédit lorsqu'un juge aura le courage et la liberté de convoquer le patron de l'UGTA pour un délit qu'il a lui-même assumé devant une cour criminelle. La logique aurait dicté au Premier ministre d'inviter les ministres cités dans des affaires de corruption à démissionner pour permettre aux juges de les convoquer. Sinon, les instructions du garde des Sceaux seront inscrites dans le cadre d'une opération de marketing politique, sinon dans le registre de la tactique de conjoncture. Ou les deux à la fois. Tayeb Louh, ministre du FLN catalogué du clan présidentiel, qui ne cache pas sa «volonté» de prendre la direction de l'ex-parti unique, cherche-t-il à se replacer dans un contexte d'incertitude politique où la fin de règne s'annonce problématique ? Tayeb Louh, dont le conflit avec l'actuel secrétaire général du FLN ne fait pas mystère, n'est pas dans «les bonnes grâces» du cercle immédiat de la Présidence. Il fait partie des rares survivants du «premier collège» ramené par Bouteflika au début de son règne. De toute évidence, l'attitude du ministre de la Justice autorise des lectures aussi diverses que contradictoires. Au mieux, il cherche à prendre ses distances vis-à-vis d'un Exécutif accablé par des scandales de corruption, au pire il s'emploie à camoufler le caractère politique d'une corruption généralisée. Sa déclaration coïncide étonnamment avec l'instruction du Premier ministre adressée aux ministres et hauts responsables de l'administration d'effectuer leur déclaration de patrimoine.