Abdelmoumen déclare : «Nous avions signé des conventions avec la police, le ministère de la Défense, la Télévison algérienne, et bien d'autres sociétés pour les faire bénéficier de réductions sur nos billets. C'était une politique de la compagnie, mais ce n'étaient pas des gratuités…». Dès 9 heures, Abdelmoumen Khalifa se présente à la barre face au micro. Les premières questions du juge concernent les billets d'avion offerts à des «centaines de personnes et personnalités». L'accusé : «Il n'y avait pas de gratuité, mais plutôt des promotions sur les prix au profit des employés». Le juge lui cite quelques noms de responsables ayant reconnu avoir bénéficié de cette gratuité. «Aït Si Ali Mouloud, directeur général de l'aviation civile, Cherif Boudjemaâ, directeur général de l'Entreprise nationale de transport maritime de voyageurs, Hassène Boubetra, Mustapha Menad, Aït Belkacem Mehrez de la Cnas. Ce sont quelques noms d'une longue liste de personnes qui affirment clairement avoir obtenu des billets gratuits sur les lignes internes et internationales. Comment comment expliquez-vous cela ?» Abdelmoumen persiste à affirmer n'avoir jamais accordé des gratuités, mais plutôt des réductions sur les prix, et le juge revient à la charge : «J'ai une liste de responsables comme Zaâmoum, Tchoulak, qui ont déclaré en avoir bénéficié, et ce, durant deux ans. S'il s'agissait de simples citoyens, c'est votre droit, personne ne vous le reproche. Mais ce sont des responsables qui ont déposé les fonds de leurs entreprises à Khalifa Bank». L'accusé se crispe. Il semble un peu nerveux. Il déclare : «Nous avions signé des conventions avec la police, le ministère de la Défense, la Télévison algérienne, et bien d'autres sociétés pour les faire bénéficier de réductions sur nos billets. C'était une politique de la compagnie, mais ce n'étaient pas des gratuités…». Le juge ne semble pas convaincu. «Ne pensez-vous pas que ces billets gratuits faisaient partie de la contrepartie des dépôts des trésoreries des entreprises publiques ?» Abdelmoumen : «Ces dépôts ont été effectués sur la base d'un contrat. Ils pouvaient les retirer à n'importe quel moment…». Le magistrat réplique : «Si Tchoulak et feu Berber n'étaient pas des responsables, auraient-ils bénéficié de ces nombreux billets gratuits pendant deux ans ?». L'accusé : «Je ne sais pas s'ils ont eu des gratuités. Mais si c'est vrai, ce n'est pas moi qui les ai donnés. Il faut poser la question aux responsables de Khalifa Airways…». Le juge : «Et toutes ces cartes de paiement en devises Gold Platine que vous avez offertes à des personnes sans qu'elles aient des comptes devises, est-ce normal ?» L'accusé : «Ce n'est pas vrai…». Le magistrat lui cite le cas de feu Tayeb Benouis, ancien PDG d'Air Algérie, et l'accusé de répondre : «Nous avions signé une convention entre Khalifa Airways et Air Algérie entre 1998-99, pour travailler ensemble. Benouis avait un compte devises…». Le président revient sur les dépôts de fonds. «A cette époque, l'argent des entreprises coulait à flot au niveau de Khalifa Bank…», dit-il, avant que Abdelmoumen ne réplique : «Cet argent était déposé à la Banque d'Algérie…». Le juge poursuit : «En contrepartie, les responsables bénéficaient d'avantages. La corruption n'a pas de couleur. C'est un service contre un autre. Du donnant donnant…». Abdelmoumen : «De quel service parlez-vous ? Ces dépôts pouvaient être retirés à n'importe quel moment. Mais s'ils sont faits pour une durée un peu longue, la société gagne des intérêts. La gratuité des billets m'étonne». Le juge : «Mais tous les accusés ici reconnaissent en avoir bénéficié...». Abdelmoumen : «A mon niveau, je ne le savais pas». Le juge cite encore d'autres noms de responsables. «J'ai ici Messaoud Benchemam, directeur de l'entreprise nationale de navigation aérienne qui dit l'avoir eu après qu'il vous ai rencontré chez l'ancien ministre des Transports, Sid Ahmed Boullil…». Et l'accusé de répondre : «Les cadres des compagnies aériennes et de l'aviation civile généralement ne paient pas les billets, mais les autres, cela m'étonne. Il n'y avait pas de contrepartie pour les dépôts.» «Je savais que la catastrophe allait arriver et que Djellab allait être installé» Le juge : «Cet argent a été confié à Khalifa Bank pour travailler avec et remettre en contrepartie des intérêts, pas plus. Mais le problème, c'est que ni ces intérêts ni ces fonds n'ont été restitués. Vous ne pouvez pas le nier...». L'accusé : «Ce sont des dépassements au niveau des compagnies. Ce n'est pas logique qu'ils donnent des billets gratuits». Le président : «Meziani Abdelali, un cadre de l'UGTA, qui a déposé 3,5 milliards de dinars à Khalifa Bank, reconnaît avoir bénéficié de voyages gratuits», et Abdelmoumen de répondre : «Il ne dit pas que je l'ai payé pour les dépôts. La politique du groupe était de travailler avec toutes les institutions publiques». Le président : «Je sais qu'à l'époque, le groupe était une réalité, mais s'il n'y avait pas cette contrepartie et si l'argent n'avait pas disparu les responsables ne seraient pas dans le box des accusés». Khalifa : «Entre 1998 et 2003, nous avions signé des conventions pour les dépôts, mais c'était un argent qui rentrait et sortait. Il y a eu un OPGI qui a retiré d'un coup des centaines de milliards de centimes sans aucun problème. Jusqu'au jour où je suis parti il n'a eu aucun incident de paiement. En février 2003, je n'étais plus PDG…». Le juge : «Vous avez pris la fuite…». L'accusé : «Non, j'étais à l'étranger». Le juge : «En Grande-Bretagne ?» L'accusé : «Je suis parti aux USA pour 48 heures, puis j'ai rejoint la Grande-Bretagne». Le juge : «Vous ne pouviez pas vous installer aux USA ?» L'accusé : «J'ai été aux USA pour un projet d'investissement algéro-américain important pour l'Algérie, dont je parlerai en temps opportun…». Le magistrat le coince. «Vous aviez dit hier avoir quitté le pays pour éviter une catastrophe. N'est-ce pas une fuite ?» L'accusé : «Je savais que cette catastrophe allait arriver et que Djellab, l'administrateur, allait être installé». Le juge : «Vos cadres dirigeants vous ont suivi…». Khalifa : «Tout le monde savais que j'étais en Grande-Bretagne. La police anglaise m'a informé en juin 2006 d'un mandat d'arrêt européen, lancé par la justice française, qui me poursuivait pour des présumés faits de blanchiment et de banqueroute, mais ce n'est qu'en 2008 que j'ai appris par les Anglais le deuxième mandat d'arrêt lancé par l'Algérie». Le juge : «Vous ne vous êtes pas présenté pour vous expliquer parce que vous aviez peur ?» L'accusé : «Je n'avais pas peur…». Le magisrat revient sur la question des billets gratuits, en rappelant les déclarations d'anciens cadres de Khalifa Airways et de Khalifa Bank, et Abdelmoumen nie leur existence et préfère parler de promotions sur les prix. Le juge revient sur les compétences du personnel de Khalifa Airways. «Comment expliquez-vous ces cas de personnes sans qualification recrutées par le groupe, notamment dans la compagnie aérienne à des postes de pilotes et autres ?» L'accusé : «Ce n'est pas vrai. Les pilotes doivent passer par des formations en Grande-Bretagne». Le juge : «Dans une école privée qui n'a cure du niveau des stagiaires, l'essentiel est le fait que vous payez…». L'accusé : «Faux. Il y a eu des promotions où beaucoup de jeunes recrues sont revenues. Les pilotes ne travaillent pas seulement en Algérie. Avec les avions, ils survolent des pays européens, et s'ils s'écrasent, ils vont tuer des gens. Je ne pense pas que l'école de formation soit complaisante». Agacé par les réponses qui ne semblent pas le convaincre, le juge se lance dans des comparaisons. «Savez-vous qu'en France, Pierre Bérégovoy s'est suicidé juste parce que la presse a parlé du crédit sans intérêt qu'il a obtenu ?» Et l'accusé de le corriger : «Ce n'est pas la banque qui lui accordé ce crédit. Un ami à lui qui devait aller en prison lui a donné la somme pour le sauver». Puis, il explique qu'en 2000, par exemple, il avait longuement discuté avec Abdelmadjid Sidi Saïd, secrétaire général de l'UGTA, «sur le partenariat entre les secteurs privé et public algériens dans l'intérêt des Algériens». Le magistrat lui demande pourquoi «ne pas avoir respecté les lois et règlements qui permettent une gestion transparente de la banque», et l'accusé lance : «Notre argent était déposé à la banque d'Algérie et nous avions même tenu des réunions avec l'ABEF (Association des banques et des établissements financiers), dont nous étions membre…». Le juge le ramène à la gestion : «Les rapports des dix inspections de la Banque d'Algérie font état de graves anomalies qui n'ont pas été corrigées». L'accusé : «Toutes les banques ont des problèmes. Un représentant de la Société Générale m'avait d'ailleurs dit qu'une des inspections de la Banque d'Algérie lui avait envoyé un rapport de 30 pages sur des anomalies. Même lorsqu'une banque est en danger, la loi lui permet de demander une aide pour son refinancement afin qu'elle puisse redresser sa situation. Mais jusqu'à 2003, Khalifa Bank ne l'a jamais fait…». Excédé par cette manière de tout nier, le juge lance : «Mais il y a des vérités que vous ne pouvez pas nier. C'est l'évidence même». Il revient sur les deux crédits obtenus auprès de la BDL durant la fin des années 1990 et qui auraient servi au financement de Khalifa Bank, en reprenant les déclarations des accusés, notamment l'ancien cadre de la BDL, Issir Idir, et le clerc du notaire Rahal, Djamel Guellimi, devenu un de ses cadres. Abdelmoumen Khalifa persiste à nier, en jurant avoir obtenu des facilités de caisse et non des crédits. Puis, encore une fois, le juge revient sur les dépôts et l'accusé explique qu'il s'agit de fonds récupérables à tout moment. Le juge s'exclame : «Le problème, c'est qu'ils n'ont pas été récupérés. Un responsable de Sonatrach a subi des pressions pour déposer l'argent de la compagnie, et il a refusé parce qu'il vous a demandé les bilans de la banque et il ne les a pas obtenus». Avec un large sourire, Abdelmoumen répond : «Ce témoin m'a vraiment fait rire. Il m'a plu. Il a été interrogé sur le fait qu'il n'a pas déposé l'argent, et les autres pour avoir déposé les fonds. Allez comprendre quelque chose…». Le juge : «C'est grâce à lui que Sonatrach n'a pas perdu son argent…». L'accusé : «Sonatrach n'a pas perdu son argent, mais ce qui se passe aujourd'hui est pire…». Eclats de rire dans la salle. Le président : «Vous n'avez pas le droit d'accabler toute la compagnie parce qu'une personne qui y travaillait a volé. Un peu de respect…». L'accusé s'en excuse et poursuit : «Comment une banque ne peut-elle pas avoir un bilan ? Et les impôts, que font-ils ?» Le juge : «En tout cas, l'histoire lui a donné raison», et l'accusé de répliquer : «Pas encore». Le juge : «Au moins, lui, n'a pas perdu l'argent…». L'accusé : «Jusqu'à maintenant, je n'ai pas compris ce feuilleton. J'ai laissé 97 milliards de dinars. C'est le chiffre que j'ai et il y en a d'autres. La liquidation n'est pas encore terminée. Il n'y a pas eu de faillite parce que la clôture des comptes n'a pas été faite…». Le juge : «Tous vos bilans ont été faits avec des retards parfois qui atteignaient les 24 mois, malgré les prolongations de délai que vous aviez obtenues. Expliquez-nous cela…». L'accusé : «Les prolongations sont légales. Les banques ont le droit de le faire parce qu'il s'agit de milliers d'opérations…». Le juge : «Les inspecteurs disent qu'ils ont trouvé des difficultés à remettre de l'ordre dans la gestion de la compatbilité». L'accusé : «C'est un problème de commissaires aux comptes. Même M. Badssi a trouvé des difficultés avec eux. De 2003 à ce jour, il n'arrive pas à faire un bilan». Le juge lui demande s'il ne se sent pas responsable de cette gestion en tant que PDG du groupe, et l'accusé conteste toute irrégularité en disant : «Dans une comptabilité, l'actif doit être supérieur au passif, et jusqu'au 25 février 2003, c'était le cas. Nous n'avions jamais senti le risque de couler. C'est tout à fait normal qu'une banque puisse avoir des problèmes, mais elle n'a jamais été en situation de faillite…». Le juge : «Les commissaires aux comptes sont parmi les accusés parce qu'ils n'ont pas informé des anomalies…». «Demandez à Maâmar Djebour, c'est lui qui s'occupait du sponsoring» L'accusé : «Ce sont juste des retards d'opérations. Le dernier bilan a été fait le 31 décembre 2002. Il y a eu des retards pour 1998 et 1999 parce que nous avions des problèmes avec la première équipe que dirigeait Alloui, après c'est rentré dans l'ordre». Le juge revient sur le financement des clubs sportifs et l'accusé lui répond que le premier qui a bénéficié de l'aide a été son club de football favori, le Nahd, «qui ne gagne toujours pas, mais que j'aime», dit-il, précisant qu'après il a préféré assister tous les clubs au niveau national. Pour les contrats de sponsoring, Abdelmoumen explique qu'il avait chargé Tahar Mkedem et Maâmar Djebour de s'en charger. «J'ai rencontré le président malien qui me parlait plus de la France que de son pays» «Maâmar Djebour n'était pas à Khalifa Airways ?» demande le juge. «En fait, en 2002, le Mali avait demandé à l'Algérie de l'aider à organiser la Coupe d'Afrique des Nations de football. J'ai décidé d'envoyer deux avions pour le transport des joueurs, après avoir été reçu par le président Omar Alpha Conaré, qui me parlait plus de la France que de son pays. Khalifa Airways a aussi transporté Raouraoua de la Faf et Blatter de la Fifa. Et regardez aujourd'hui, ils ont voté pour le Gabon contre l'Algérie. Allez faire du bien pour ces pays, et voyez comment ils vous le rendent». Des propos qui font éclater la salle de rire. Le juge : «Visiblement, vous êtes à jour». L'accusé : «Je n'ai rien d'autre à faire que de regarder la télé. Raouraoua s'est occupé de cette coupe d'Afrique pour rien...». Encore une explosion d'hilarité. Le juge le ramène au sujet du sponsoring. «Une quarantaine d'avions, dont quatre payés intégralement et 8 à 90%, et 12 affrêtés. Pour le Mali, nous avions envoyé 2 avions. C'est Maâmar Djebour qui s'en est occupé», déclare Abdelmoumen. Il explique qu'entre 2000 et 2003, «tous les clubs de football avaient obtenu un contrat de sponsoring pour obtenir la gratuité du transport, la prise en charge des salaires et des primes des joueurs et des dirigeants. Les détails, Maâmar Djebour vous les donnera». Le magistrat l'interroge sur les voitures offertes aux joueurs de la JSK, et il confirme que 25 Peugeot 307 avaient été données aux joueurs, précisant : «Voyez avec Mohamed Cherif Hannachi. Il est au courant». Sur les cartes de soins au centre de thalassothérapie offertes à des reponsables, Abdelmoumen Khalifa déclare : «J'ai lu que le directeur de l'agence El Harrach distribuait ces cartes. Mais ce n'est pas moi. Je sais que le centre de thalasso a obtenu un crédit pour sa réfection et sa dotation en équipements en contrepartie de l'ouverture d'une agence Khalifa Bank dans ses locaux. Le responsable a remis des cartes aux chefs d'agence». Le juge lui précise que ces cartes ont été offertes à des responsables des sociétés publiques qui avaient déposé l'argent à Khalifa Bank. Abdelmoumen nie et déclare : «Un seul directeur a dit qu'il en a bénécié, c'est M. Benchemamne de l'ENNA». Le juge cite plusieurs noms : «Djeddidi Toufik, de la CNR, ou encore ce Kerrar qui a bénéficié de deux Corrolla, une pour lui et l'autre pour son épouse». Abdelmoumen : «Je ne peux pas répondre. C'est à Azziz Djamel, le chef d'agence d'El Harrach de répondre». Le juge : «Comment pour Blatter et Raouraoua vous donnez les détails, et quand il s'agit de l'argent disparu vous ne savez rien. Il y a un minimum que vous ne pouvez nier». L'accusé : «Je vous dis que la gratuité des billets est impossible». Le juge revient sur la situation de Khalifa Bank. «L'inspection a relevé que les crédits octroyés représentaient plus de 20% du capital. Est-ce normal ?» L'accusé : «Durant cette période, le personnel avait demandé des crédits pour souscrire à l'AADL. Je ne pouvais pas refuser. J'avais 10 000 travailleurs, mais après la situation a été corrigée. Nous avions de l'argent prêté que nous avions récupéré pour réduire le risque. Nous avions 97 milliards de dinars dans la trésorerie et 10 milliards de dinars de crédits octroyés…». Le juge lui précise que la majorité des crédits ont été accordés sans aucun document, en citant le cas de Dahmani, un cadre de Khalifa Airways. «C'est le client Khalifa Airways qui lui a donné et non pas Khalifa Bank. Il s'agit d'une avance sur salaire. Cela se fait pour des milliers de travailleurs...», dit-t-il. Le juge : «Aïouaz Nadjia est votre secrétaire». L'accusé : «Oui…». Le juge : «Mais vous aviez dit qu'elle ne l'était pas…». L'accusé : «En fait, je rigole lorsque vous me dites que c'est ma secrétaire». Le juge : «Elle dit que vous avez acheté des villas à Kebbache, votre oncle Chachoua Abdelhafid…» et l'accusé lance : «Allah ghaleb, a-t-elle des preuves ? Ce qu'elle dit dans sa déposition est catastrophique. Elle n'était pas ma secrétaire». Le juge : «Voulez-vous dire qu'elle a usurpé sa fonction ?» L'accusé : «Elle a fait de graves déclarations sur des personnalités. Ce n'est pas sérieux. Elle dit que j'ai reçu Djamel Ould Abbas etc.». «J'avais laissé 99 millions d'euros et vous parlez de trou financier » Le juge : «Vous avez causé un préjudice aux sociétés publiques…». Abdelmoumen : «Il n'y a pas eu faillite de la banque. Le liquidateur n'a pas clôturé les comptes. J'avais laissé 99 millions d'euros et vous parlez de trou…». Le juge lui demande d'évaluer le niveau de sa responsabilité dans cette affaire, et Abdelmoumen de déclarer : «Nous avons tous souffert. J'ai perdu 12 ans de ma vie en prison. J'ai été insulté, traîné dans la boue, mais on ne peut pas tout mettre sur mon dos. Je ne suis pas un voleur». Le juge : «Vous étiez PDG du groupe». L'accusé : «La procédure du retrait de l'autorisation du commerce extérieur était illégale. Les comptes n'étaient pas certifiés». Le juge : «Où sont ces montants ?». L'accusé : «Je n'étais pas là pour le savoir». Le juge : «Vous avez pris la fuite…». L'accusé : «Parce que je savais que la banque d'Algérie allait faire quelque chose. Je n'étais pas seul à la Khalifa Bank. Je sais qu'ils ont commis des erreurs…». Le juge : «Votre fuite n'avait qu'une seule explication, votre responsabilité». L'accusé : «C'était un choix. Je n'étais pas responsable. Il y a eu des assurances diplomatiques pour que ce dossier soit rouvert et jugé. Aujourd'hui, c'est une autre conjoncture. Je peux m'expliquer…». Le juge : «Après une longue fuite, vous venez nous dire que vous ne savez rien et vous niez tout en bloc...». L'accusé : «J'ai laissé 97 milliards de dinars et 10 milliards de dinars de crédit. M. Badssi est là. Nous avons repris contact pour régler la situation…». Le juge lui fait savoir que l'affaire à régler, c'est celle qui est devant le tribunal. «Tout ce que j'ai dit est vrai. Je ne suis pas un rebelle. Je fais confiance à la justice...». Le juge le relance sur les taux d'intérêt accordés par Khalifa Bank et jugés excessifs. Abdelmoumen conteste et affrme qu'ils sont légaux. Il l'interroge sur l'achat de la villa à Cannes, et il dit que c'est Khalifa construction qui l'a financée juste avant l'importation des stations de dessalement d'eau de mer. Abdelmoumen comprend que le juge veut connaître l'origine des fonds avec lesquels il a payé la villa à 33,5 millions d'euros. Il ne lui donne pas l'occassion de poursuivre et répond : «La justice française m'a poursuivi pour l'origine de ces fonds et j'ai répondu et j'ai gagné le procès. J'ai tout un dossier sur cette question». Le juge l'interroge sur les bénéfices de Khalifa Airways à l'étranger, et l'accusé affirme : «105 millions d'euros. La loi nous permet de garder 10% en France, le reste est transféré en Algérie, dont 50% sont convertis en dinars et l'autre restera en devises». Le juge : «Si je comprends bien, vous aviez 10 millions d'euros en France ; comment pouviez-vous acheter une villa de 33,5 millions d'euros ?» L'accusé : «Nous avions 90 millions d'euros dans notre compte devises en Algérie. Ces revenus sont réinvestis. Et c'est dans ce cadre que nous avons acheté la villa». Il explique le contentieux né de cette affaire en France, où la justice a estimé qu'il s'agissait d'argent fait en France, qui ne pouvait pas être transféré en Algérie. Le juge revient sur l'achat des stations de dessalement, disant qu'en réalité le montant transféré n'était pas de 26,5 millions d'euros pour deux stations sur cinq, dont trois n'ont pas été ramenées, mais 45 millions d'euros virés par Swift pour payer la villa de Cannes, alors que Khalifa Bank faisait l'objet d'une interdiction de commerce exterieur. L'accusé : «Nos comptes devises sont domiciliés à la Banque d'Algérie». Le juge : «Ces transferts ne sont pas passés par la Banque d'Algérie…». L'accusé : «Le transfet de compte devise est libre». Le juge : «Les deux premières stations sont venues, mais les trois autres jamais. Elles ont servi pour transférer la somme, non pas de 51 millions d'euros, mais de 81 millions d'euros...». L'accusé rappelle qu'il a déjà répondu sur cette affaire à la justice francaise, mais le magistrat lui répond que cela ne le concerne pas. Après trois heures d'audition, c'est au tour de la partie civile de poser des questions. Me Ali Meziane, avocat de Khalifa Bank liquidation s'avance. Il revient sur la question de l'hypothèque et les deux crédits octroyés par la BDL aux sociétés de Moumen et ce dernier persiste à dire qu'il n'a bénéficié que de facilités de caisse. Me Meziane insiste et l'avocat de Abdelmoumen, Me Lezzar crie : «Objection !» L'incident qui enflamme la salle d'audience Le président demande à Me Meziane de poursuivre. Il demande à l'accusé le statut de Khalifa Airways. Il répond : «Une Eurl. J'en suis le propriétaire». Me Lezzar : «Objection !». Le président s'énerve. Il le rappelle à l'ordre. «Vous ne faites que dire objection, j'ai l'impression de voir un film. Le seul qui a le droit d'accepter ou de rejeter une question, c'est moi. La prochaine fois je lève l'audience». Me Meziane : «d'où avez-vous eu le capital de Khalifa Bank ?». L'accusé : «Les 150 millions de dinars sont les revenus des activités de mes deux sociétés de médicament». Me Meziane : «Avez-vous demandé un crédit pour Khalifa Airways ?». Me Lezzar conteste. Le président : «Laissez l'avocat poser les questions. Nous voulons comprendre ces transferts de fonds». Me Meziane : «Khalifa Airways a-t-elle des comptes à Khalifa Bank ?». L'accusé : «Oui, plusieurs». Me Meziane lui demande le montant des dettes de la compagnie et Abdelmoumen après hésitation parle de 1,3 milliard de dinars. L'avocat riposte : «Faux ! 85 milliards de dinars». Il précise que le montant transféré sur le compte de Khalifa Airways à la BIA, en France, pour les stations de desassalement, était de 51,8 millions d'euros, avant d'interroger Abdelmoumen sur la somme qu'il a avancée à la société saoudienne. Il persiste à affirmer : «29,5 millions d'euros sur un marché de 39 millions d'euros». L'avocat : «combien avez-vous transféré au notaire pour l'achat de la villa de Cannes ?». L'accusé : «Ce transfert a été effectué par Khalifa Airways. C'est une obligation de la loi française afin que le notaire contrôle l'origine des fonds. La somme est de 33,5 millions d'euros». Me Meziane : «Confirmez-vous que cette villa a été vendue à 17 millions d'euros ?» L'accusé : «Ce n'est pas moi qui l'ai vendu. C'est la liquidatrice». Me Meziane : «Une année après l'achat, avez-vous ordonné sa vente ?». L'accusé : Lorsqu'il y a eu la liquidation de Khalifa Airways, je voulais l'hypothéquer pour payer les dettes de la compagnie, mais des problèmes ont survenu. J'ai dit à Chachoua de l'hypothéquer et le tribunal a refusé». Me Meziane : «Le notaire ne vous a pas remis 3,5 millions d'euros ?». L'accusé : «Non, plutôt à Khalifa Airways». Me Lezzar conteste encore. Me Meziane poursuit. Il demande le dernier bilan de 2002 de Khalifa Bank, et Abdelmoumen déclare environ 120 ou 130 milliards de dinars. L'avocat veut connaître le montant qui était dans la caisse principale, et l'accusé déclare : «97 milliards de dinars», avant que Me Meziane ne précise : «Plutôt 38 milliards de dinars». Il l'interroge sur le compte d'ordre, ce compte où sont logées des opérations bancaires en suspens. «Nous avions 35 à 37% du bilan qui concernaient le compte d'ordre», affirme l'accusé, en disant qu'il ne s'agit pas de compte dormant, mais plutôt de compte d'attente pour des opérations urgentes qui doivent passer, puis réglées après. «En 2002, il représentait 33% du bilan, c'est-à-dire 30 à 40 milliards de dinars du bilan». D'autres avocats de sociétés constituées en tant que partie civile l'interrogent. L'un d'eux lui demande si Khalifa Bank a financé la venue en Algérie de l'acteur égyptien Adel Imam afin de présenter sa pièce théatrale Zaïm. L'accusé explique que c'est le ministère de la Culture qui avait un compte chez Khalifa Bank qui a tout payé. Il confirme avoir acheté des terrains à Boughezoul, dans le cadre de la construction de la nouvelle ville, mais a fini par les vendre. Durant plus de quatre heures, le procureur général reprend le relais. Lui aussi n'arrive pas à faire reculer l'accusé dans sa stratégie basée sur la négation. Il lui demande si c'est Guellimi qui avait fait un passage à la BNA, et son père, un ancien cadre des Finances, qui lui ont soufflé l'idée de créer une banque. L'accusé conteste. Il revient sur le recrutement d'anciens cadres de la BDL et de la BNA choisis, selon lui, pour services rendus, et l'accusé nie catégoriquement. Le procureur général lui rappelle les déclarations de nombreux accusés, mais Abdelmoumen lui répond : «Ce sont leurs propos. Il faut des preuves». Il lui demande d'expliquer l'instabilité des responsables des agences, et les anomalies constatées dans la gestion comptable de la banque. L'accusé répond : «J'ai plus de 70 agences. Je ne peux pas savoir ce qui se passe dans chacune. J'ai utilisé le système de quatre yeux, c'est-à-dire deux contrôleurs par service pour que si l'un se trompe, l'autre le corrige. De plus, les chefs d'agence ne doivent pas rester plus que deux ans dans un poste». La réponse ne semble pas convaincre. « Il n' y a pas que moi dans le groupe, il y a d'autres dirigeants » Le procureur général : «Expliquez-moi comment un caissier d'une agence peut-il être nommé directeur général adjoint chargé de la caisse principale ? C'est une première. N'est-ce pas pour vous servir ?» L'accusé : «C'est juste un titre parce qu'il s'occupe de toutes les caisses...». Le PG : «Vous aviez dit qu'il était juste caissier de l'agence de Chéraga...» L'accusé : «Mais après, il a eu une promotion dans son salaire». Le PG : «N'est-ce pas pour que l'inspecteur général ne puisse pas enquêter sans en avoir reçu l'ordre ?» L'accusé dément. Le PG l'interroge sur les villas que les cadres dirigeants de la banque, partis de rien, ont achetées dans le même quatier à Chéraga en moins de deux ans. L'accusé : «Moi, je n'ai rien acheté. Eux, ils ont eu des crédits qu'ils ont remboursés. Je ne jette pas l'argent par les fenêtres. Le travail de la banque, c'est de prêter…». Il l'interroge sur les sommes que lui remettait Akli Youcef à travers son aide de camp et chauffeur, il répond : «C'était pour les salaires des travailleurs». Le PG : «Les travailleurs ont tous déclaré recevoir leur salaire via leurs comptes». L'accusé : «Ce sont des avantages liés à leurs salaires…». Le PG lui demande s'il a été mis au courant de cette lettre de dénonciation sur la gestion de la banque, et Abdelmoumen de déclarer : «Les lettres anonymes sont nombreuses. Cela peut être des règlements de comptes entre l'ancienne équipe et celle qui l'a remplacée.» Le procureur général l'interroge sur Boukadoum, en lui demandant si c'est lui qui avait ramené les OPGI, étant donné qu'il était en fonction à l'Office Bir Mourad Raïs, et qu'il a obtenu un crédit pour créer sa propre société. L'accusé dément. Le PG lui pose la question sur les transferts de devises après l'interdiction du commerce extérieur et Abdelmoumen éclate : «Je ne suis pas poursuivi pour violation de la loi sur la monnaie et le crédit. Mes devises étaient à la Banque d'Algérie». Le procureur général l'interpelle sur les nombreuses voitures de la Khalifa Bank remises à des responsables, et Abdelmoumen de répondre : «Elles sont toujours la propriété de la banque…». En milieu d'après-midi, les avocats s'approchent de la barre. Me Khaled Bourayou, avocat d'Issir Idir dira à Moumen : «En 1997, vous avez obtenu deux crédits d'un motant de 110 millions de dinars au profit de KRG Pharma…», dit-il avant que l'accusé ne précise : «Des facilités de caisse». Me Bourayou poursuit : «Vous dites non ; pourtant, dans le procés-verbal d'audition de 1999 devant la police judiciaire, vous aviez déclaré…», lance-t-il, avant d'être interrompu par Me Lezzar, qui crie : «Objection !» Me Bourayou lui répond : «Vous ne connaissez pas la procédure». Et Me Lezzar explose de colère. «C'est une accusation grave. Elle est inadmissible et inacceptable», déclare l'avocat en courant dans tous les sens et en tapant sur le pupitre des avocats. La salle s'enflamme. Le président n'arrive pas à contrôler les uns et les autres. Il supplie les deux parties à reprendre leur calme. Durant plusieurs minutes, les échanges de propos s'aggravent. Le président finit par lever l'audience. Vingt minutes plus tard, il revient et déclare : «Lorsque je dis que c'est une bataille de procédure, cela ne veut pas dire que c'est une bataille de parole. Il faut respecter la sérénité du procès. Chacun a le droit de poser des questions dans le respect, et pour la vérité…». Me Bourayou reprend la parole. Il présente ses excuses, avant de reformuler sa question pour la poser en lisant le procès-verbal de la police. «Lorsque la BDL a ouvert une enquête sur les crédits non remboursés en 1998 et dans laquelle Issir Idir avait été impliqué, vous aviez déclaré avoir obtenu deux crédits d'investissement pour KRG Pharma». L'accusé : «J'ai eu des facilités de caisse». Me Allouache demande à Abdelmoumen combien de fois il a rencontré Moncef Badsi à Londres et de quoi ils ont parlé. Abdelmoumen surprend l'assistance en disant : «Deux fois dans un café pour parler de la banque et de la sortie de crise». Il ajoute qu'aujourd'hui il s'est entendu avec lui pour réunir le conseil d'administration de Khalifa Bank, le 20 mai prochain, auquel il déléguera un de ses avocats pour régler le contentieux. Le président revient sur le statut de la banque et l'acte notarié, ainsi que sur le dépôt du capital. Il dit se souvenir que la signature a eu lieu chez le notaire et que tous les membres de sa famille étaient présents, à part sa mère, chez laquelle le notaire s'est déplacé. A propos du capital, il affirme avoir déposé le 1/5, soit 25 millions de dinars, sur les 125 millions déposés après. Me Lezzar prend la parole : «Nous sommes dans une ambiance terrifiante. Nous subissons des attaques stratégiques qui illustrent un acharnement caractérisé. Vous avez auditionné l'accusé à charge et à décharge, le PG a été correct, mais les tirs croisés de la défense sont venus de partout», dit-il avant que le président ne réagisse : «Les avocats ont le droit de poser des questions, nous ne pouvons pas leur interdire de parler». Me Lezzar reprend : «Nous sommes là amputés de l'instruction. Nous sommes à charge. Nous n'avons pas présenté les moyens de preuves et on nous a refusé toutes nos demandes objectives. J'ai ici 66 questions à poser, mais depuis hier mon client est dans une position inhumaine. Je préfère vous demander de me laisser pour dimanche matin». Le président : «Ouf, vous m'avez fait peur. Si vous voulez posez cent questions, c'est votre droit et vous pouvez attendre dimanche». Le président revient sur la question de l'assurance de la flotte, et Abdelmoumen déclare qu'il en avait deux, mais qu'il ne se rappelait pas lesquelles. Il revient sur la question des taux d'intérêt et Abdelmoumen répond : «Ils sont compris entre 7 et 13% entre argent placé pour être utilisé par la banque et qui rapporte 10% tous les 4 mois et qui représente 30% du bilan de la banque». Il ne cesse de répéter que le travail de la banque est justement de prêter de l'argent. D'ailleurs, ajoute t-il, «la banque d'Algérie nous avait demandé et M. Badssi le sait que la Banque d'Algérie ne cesse de demander aux banques de prêter plus pour faire vivre les banques». Il souligne que pour le bilan de 2002, «nous aurons la possibilité d'accéder à la comptabilité en tant qu'actionnaire et de le ramener». Selon lui, après son départ, le 21 février 2003, «Krim Smaïl est resté seul en tant que DG ; le 25, il y a eu l'installation de l'administrateur, et le 29 Krim Smaïl avait démissionné de son poste. Je ne savais pas ce qui s'était passé jusqu'à ce que M. Badssi m'en informe». Le président lève l'audience en donnant son accord pour que les accusés en détention reçoivent leurs avocats durant le week-end. Dimanche, ce sera au tour des questions des avocats de Abdelmoumen et le début des confrontations avec les autres accusés.