Nous sommes envahis par les singes magot, la direction du parc national du Djurdjura organise des lâchers clandestins depuis 2008 sans mesurer l'impact de ces mammifères que ce soit sur l'environnement, ou sur la vie des populations qui vivent dans la région.» Ce cri d'alarme est celui du président de l'APC d'Iboudrarène, Abdeslam Lakhal, qui ne cesse de recevoir les plaintes de citoyens victimes des ravages qu'infligent les singes magot à leurs habitations et plantations. «Ils n'épargnent ni fruits, ni légumes, ils saccagent tout sur leur passage», explique-t-il. «Même l'équilibre naturel est menacé, car ces primates s'attaquent aux nids d'oiseaux, détruisant ainsi d'autres espèces». Il faut savoir que ces macaques se nourrissent de glands, d'écorces, d'aiguilles de cèdres, de champignons et de proies animales. Aux abords des zones agricoles, comme c'est le cas dans cette région, ils consomment également des fruits des légumes, des céréales ainsi que d'autres plantes. «Comment le PND censé préserver la faune et la flore du parc national du Djurdjura a-t-il pu entreprendre une opération pareille ?» se demande notre interlocuteur. Et d'ajouter que les multiples tentatives de sensibiliser les autorités locales autour de ce problème sont restées sans réponse : «Nous avons saisi par lettre toutes les administrations concernées, mais les responsables font la sourde oreille». Ce constat amer est corroboré par de nombreux présidents de comité de village : «Nous sommes coincés entre la marteau et l'enclume ; d'une part, la réglementation en vigueur qui protège ces animaux, et d'autre part les dégâts qu'occasionnent les singes magot ; on dirait que c'est fait exprès». Face au mutisme des autorités, les citoyens ont décidé d'agir afin de protéger leur territoire, et ce, en décidant d'organiser des battues. «La sécurité alimentaire et physique de l'humain doit primer sur celle de ces macaques de barbarie qui règnent en maîtres des lieux», conclut M. Lakhal. Ce phénomène nouveau est déploré dans l'ensemble des villages situés à l'intérieur du parc ou à ses alentours. Il faut savoir que 80 000 habitants résident à la périphérie immédiate et 6000 à l'intérieur même de la réserve. Les villages kabyles les plus touchés sont ceux accrochés sur les deux faces de la montagne et qui pendent à mi-versant de celle-ci. Ils sont composés de plusieurs communes : Iferhounène, Abi Youcef, Akbil, Iboudrarène, Ouacifs, Aït Boumahdi, Agouni Gueghrane, Aït Bouadou, Assi Youcef, Boghni, sur le versant nord, et Aghbalou, Saharidj, El Adjiba, El Asnam, Haïzer, Taghzout, Aït Laziz et Bechloul, sur le versant sud. La planète des singes ! Effectivement, dans cette région que nous avons visitée le constat est accablant. La prolifération de cette espèce saute aux yeux. 4800 singes magot peuplent actuellement les forêts du Djurdjura, occasionnant au passage des dégâts considérables aux plantations et autres exploitations agricoles. Les singes magot n'en restent pas là, ils s'attaquent aux maisons, saccagent les toitures, les fils électriques. On se croirait dans le film La planète des singes de Matt Reeves, L'affrontement. Mais le scénario ne se déroule pas à San Francisco en Californie, mais bel et bien dans les villages dépendant de la daïra de Benni Yenni et Ouacif à Tizi Ouzou. Contacté par nos soins, le chef d'antenne du parc national du Djurdjura, M. Dahlal, nie catégoriquement avoir organisé ces lâchers et souligne qu'aucun animal n'a été introduit dans la région. «Nous n'avons pas les moyens d'apporter un seul animal, ni de le prendre en charge». Il explique que ce phénomène est dû à la désertion de la région par les citoyens pendant la décennie noire, abandonnant leurs maisons et leurs champs. L'autre raison avancée par ce même responsable, ce sont les incendies répétés ces dernières années qui ont chassé ces primates de leur milieu naturel. «Le singe magot qui est un animal intelligent a migré de la montagne vers les villages à la recherche d'un meilleur environnement et surtout plus confortable et facile», explique t-il. Il revient dans ses propos sur l'étude qui a été lancée depuis deux ans autour de ce problème. «L'étude achevée s'est soldée par des recommandations qui visent à minimiser l'impact de ces primates sur les terrains de cultures». Elle préconise «la réhabilitation de l'habitat naturel de ces singes à travers des implantations de diversion (arbres fruitiers et autres cultures) au niveau des massifs montagneux afin de repousser les singes vers leur habitat naturel». Il est également recommandé de recruter des vigiles afin de chasser ces mammifères des villages et des champs, «le temps qu'ils s'habituent à leur nouvel environnement», ajoute M. Dahlal. Une opération qui ne peut s'accomplir sans l'implication des comités de villages, a-t-il souligné «car le parc national s'étend sur une superficie de 18 500 ha et il faut que les citoyens nous aident dans cette action». Le même responsable reconnaît par ailleurs «que les résultats de l'étude restent insuffisants et que les autorités ont sous-estimé le phénomène en ne lui accordant pas l'importance qu'il mérite». «Il faut dire que les recommandations de cette étude sont insuffisantes pour éradiquer ce problème. Il y a visiblement une absence de volonté de la part des autorités à le faire», a-t-il conclu. De son côté, M. Tabti, directeur des forêts de la wilaya de Tizi Ouzou a imputé l'invasion des singes aux citoyens qui ne respectent pas les règles de la nature : «Ces macaques peuplaient ces montagnes depuis la nuit des temps, ils ont été chassés de leur milieu naturel par l'homme qui a détruit toutes leurs ressources». Le captage abusif des sources d'eau et les incendies qui ont ravagé des forêts entières ces dernières années dans la région ont poussé ces singes à changer de milieu à la recherche d'eau et de nourriture. Pour lui, «aucun singe, ni aucun un autre animal n'a été lâché dans la région». Ce qui n'est pas du tout l'avis des citoyens. Des villages «envahis» Cette espèce, qui présente une grande capacité d'adaptation morphologique au froid et donc à l'environnement montagnard, a toujours vécu dans les massifs montagneux de l'afrique du Nord. C'est une spécificité de la région, le phénomène nouveau est l'envahissement des villages. Pour Ammi Abderrahmane, agriculteur et éleveur de bovins au village de Bouadnane, les singes ont toujours peuplé les montagnes du Djurdjura, «mais on ne les voyait jamais s'approcher des villages, encore moins des maisons, mais depuis 6 ans leur nombre a été multiplié par mille, et aujourd'hui ils règnent en maîtres des lieux, saccageant tout sur leur passage». Les villageois sont formels, l'Etat représenté par le PND a lâché des loups et des singes ces dernières années. «Il y a des personnes qui ont vu des camions remplis de ces bêtes, maintenant qu'ils ont constaté que l'espèce du fait de son nombre porte atteinte à l'agriculture de montagne, ils se rétractent en niant tout, mais le mal est fait et toutes les autorités concernées avouent leur impuissance face au phénomène». «Nous sommes natifs de la région, nos ancêtres ont vécu ici et jamais on n'a vu ces singes à côté de chez nous ; même dans les contes populaires ils n'existent pas, alors ils essayent de nous berner avec leurs histoires de migration, ces macaques ont été ramenés d'ailleurs», estime Ammi Ouamer du village de Bouadnanne. «La région est déjà abandonnée par l'Etat, nous n'avons même pas de gaz dans nos foyers, beaucoup de familles tirent leur subsistance à partir de leurs plantations, maintenant même ça ils nous le confisquent». La colère gronde dans ces villages depuis des années. «Dans plusieurs villages, les citoyens ont décidé de s'organiser pour défendre ce qui leur appartient puisque nous sommes abandonnés à notre sort», conclut Ammi ouamer. De nombreux incidents ont été signalés dans la région. «L'année dernière, une vieille femme accompagnée de son petit-fils s'est retrouvée au service des urgences de Aïn El Hammam, un singe qui était sur le toit d'une maison l'a frappée avec une tuile», raconte un habitant du village de Tala N'tazart. «Ils jettent les pots de fleurs posés sur les balcons, imaginez si ça tombe sur la tête des passants ?» selon le P/APC de la commune d'Iboudrarène, M. Lakhal, même les fils électriques n'ont pas échappé aux dégâts causés par les singes, privant les habitants de l'électricité. «Les équipes de Sonelgaz interviennent souvent dans les villages pour réparer des pannes causées par les singes», ajoutera l'édile. Problème de santé publique Comme tout mammifère, le singe magot peut être porteur de nombreuses maladies contagieuses, dont la plus connue et la plus dangereuse, la rage. C'est pour cette raison que les spécialistes recommandent toujours de ne pas les approcher et de les observer de loin. Le contact de ces singes, qui de nature grimpent sur les arbres fruitiers et se baladent dans les exploitations agricoles au milieu des fruits et légumes, peut constituer un réel danger sanitaire pour les populations. Leur intrusion dans les châteaux d'eau, comme cela avait été le cas l'année dernière au village de Tala n'tazart dans la commune d'Iboudrarene, peut être à l'origine de la contamination de l'eau destinée à la consommation. Surtout que le parc national du Djurdjura ne dispose d'aucun moyen logistique, ni humain pour vérifier régulièrement la santé de ces primates, selon M Dahlal.