La désormais fameuse lettre de Gaïd Salah au SG du FLN continue à susciter de vives réactions de la part de la classe politique qui s'inquiète des motivations d'une telle démarche. Ali Benflis estime que le chef d'état-major de l'armée a commis une faute politique, morale et constitutionnelle dont les conséquences peuvent s'avérer désastreuses pour le pays. C'est la preuve que le quatrième mandat a ouvert la voie à toutes les dérives. A l'impensable. Le geste hautement périlleux du chef d'état-major est l'expression d'une régression abyssale. Un bond dans l'inconnu. Mettre l'Armée nationale populaire (ANP) au service d'un parti ou d'un clan pour des calculs de positionnement dans le sérail, c'est prendre le risque d'exploser le pays. Cela confirme que les considérations politiciennes prennent le pas sur le devoir de l'armée en tant que garante de la Constitution et de la défense du pays. Le principe sacré de neutralité de l'ANP est sacrifié au profit d'ambitions inavouées. Sortir les forces de défense de leurs missions constitutionnelles clairement définies est de nature à porter un coup dur à leur cohésion au moment même où elles en ont grandement besoin. Les hauts gradés et les officiers soucieux de leur devoir patriotique sont ainsi placés dans une situation inconfortable. On imagine aisément la stupéfaction de beaucoup d'officiers, mais surtout des troupes envoyées traquer les terroristes au péril de leur vie. Mais l'angoisse s'est saisie surtout de l'opinion publique et de la classe politique tant le message du chef des Tagarins va sans nul doute déstabiliser davantage les équilibres déjà fragiles d'un paysage politique asphyxié. La classe politique consternée La réaction forte de nombreux partis témoigne de cette crainte que soulève le faux pas du chef du commandement militaire. La tentation d'un retour à la dictature du parti unique est manifeste.Décréter que l'ex-parti unique est le seul dépositaire de l'histoire, de la mémoire et du futur de l'Algérie, c'est mettre un terme à un multipartisme étouffé. Les partis politiques sont unanimes à dire que par son geste, Gaïd Salah «humilie la nation et porte un sérieux discrédit à l'armée». La déclaration de Ali Benflis, qui s'apprête à tenir le congrès constitutif de son parti Avant-gardes des libertés, résume tout le désastre ; il parle d'une «faute morale, politique et constitutionnelle». «Ce qu'il y a d'exceptionnellement grave dans cette lettre est qu'elle est de nature à perturber tant la cohésion de nos forces armées que celle de la nation elle-même», redoute-t-il. Le Parti de liberté et de la justice (PLJ) de Mohamed Saïd partage la même inquiétude : «L'implication de l'armée dans une polémique interne à un parti politique donné, ou dans le jeu de tous ceux qui, au sein du pouvoir ou dans son environnement immédiat, s'activent à se positionner pour l'après-quatrième mandat, ne favorise guère le renforcement de la cohésion nationale pour faire face aux défis internes et externes.» Louisa Hanoune, qui brocarde l'oligarchie, est attendue sur cette question qui place l'armée dans une tempête dont elle se serait passée. Chez de nombreuses personnalités nationales, connues pour leur respectabilité, l'exaspération est totale. «On ne cesse de malmener les institutions de la République. Adosser l'état-major à un parti, c'est s'attaquer à un des derniers remparts de l'Etat», maudit un ancien dirigeant du temps de Boumediène et de Chadli. En somme, la lettre de Ahmed Gaïd Salah au «frère Saadani», un personnage fantasque sur lequel pèsent des soupçons de malversation, constitue une étape cruciale dans la recomposition violente du champ politique. La perpétuation du système Bouteflika devra se faire, quitte à marche sur le cadavre de la «République». Faut-il rappeler que cette dérobade intervient dans un contexte des plus délicats. Impasse politique, sérieuse crise économique et, surtout, un climat sécuritaire de plus en plus menaçant au plan régional. Cette situation exige un «consensus national» fondé sur l'élaboration de tous les courants politiques et sociaux en mesure de susciter une large adhésion, comme le préconisent des partis politiques et des personnalités au crédit reconnu. Mais visiblement, les décideurs, usant de basses manœuvres, ont fait un autre choix. Celui de solidifier un «front étroit» à l'intérieur du système, au mépris de l'Etat et de ses instruments légaux. C'est cela qui sécrète les germes de la vraie déstabilisation du pays et de ses institutions.