Un engin des travaux publics rouvre une tranchée remblayée pendant qu'un autre est mis en travers de la piste. En arrière-plan de ce face-à-face de mastodontes mécaniques, des personnes se regardent en chiens de faïence. Le bras de fer inquiète la police, dont quelques éléments sont dépêchés sur les lieux. Une réquisition, qui a justement cela de singulier qu'elle a été décidée, peut être un précédent à l'encontre d'une assemblée populaire communale. Le P/APC, entouré d'une trentaine de personnes entre élus et représentants d'associations également opposés au projet, ordonne au conducteur de stopper l'engin. On échange des mots, des interrogations et des inquiétudes. Entre les deux parties, les regards ne se croisent presque pas. En face, le PDG de l'entreprise Alexo paraît dépité, aux côtés d'une dizaine de travailleurs et une poignée de partisans de son projet, de n'avoir pas pu, encore une fois, brancher son usine au réseau de gaz. Que s'est-il passé avant ce lundi 28 août pour que, dans ce coin discret de la ville d'Amizour, les deux parties en arrivent à s'opposer dangereusement autour d'un projet décidément pas comme les autres ? Bras de fer Le 30 août 2004, le Conseil des participations de l'Etat (CPE) a autorisé la participation de l'entreprise publique Somacob à la création d'une unité industrielle d'extrusion de profilés d'aluminium à Amizour en partenariat avec les Sarl privées Sogemetal et Metaltex que préside Aberkane Mohand Améziane, l'actuel patron de la nouvelle entreprise, SPA Alexo. L'apport de la Somacob, qui prend 30% des actions, a consisté en une assiette foncière de 8109 m2. Le terrain qui avait abrité jusque-là une unité de fabrication de carrelage s'avère être aujourd'hui la source de tout cet imbroglio. En mars 2005, cette ex-fabrique subit un lifting et de nouveaux ateliers sont venus s'adjoindre à elle. Sans permis de construire dont la demande introduite auprès de l'APC est restée à ce jour non satisfaite. La raison ? La non-conformité du projet avec le plan d'occupation des sols (POS) qui a réservé cette partie de la rive droite d'Amizour à l'habitat collectif. La construction est alors déclarée « illicite » et l'on est arrivé à se demander comment le CPE, que préside le chef du gouvernement, a pu « cautionner » le projet. Un argumentaire que le PDG d'Alexo récuse, nous expliquant que la demande de permis de construire concerne un bloc administratif, non encore réalisé, et non l'usine qui, elle, estime-t-il, peut s'en passer parce que « existant depuis 1982 », c'est-à-dire au nom de la Somacob. Les réaménagements sont-ils exempts d'une autorisation ? « Non », nous répond le secrétaire général de la commune d'Amizour. C'est parti donc pour un long bras de fer auquel a pris part plus d'un service. La différence d'interprétation des textes ne tardera pas à imposer des mises en demeure face à la nouvelle usine qui a continué à pousser. Pis encore, en l'absence d'une assemblée élue (la bouillonnante commune d'Amizour n'ayant pas pu organiser des élections municipales), le chargé des affaires communales signe, en juillet 2005, un arrêté de démolition qui est conforté par l'aval du chef de la daïra, donc de la wilaya aussi. Pour une contrainte technique, la démolition n'aura pas lieu, et on se contentera, une dizaine de jours plus tard, de saisir des matériaux de construction. Ainsi, il était admis que la construction est illicite « conformément aux textes régissant l'urbanisme ». Du moins, jusqu'au jour où un message « très urgent », signé du chef du cabinet du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, tombe sur le fax du wali. L'instruction est ferme : « En exécution des instructions du chef du gouvernement, honneur de vous demander de bien vouloir faire rapporter, dès réception du présent message et sans délai, l'arrêté pris par le président de l'APC d'Amizour portant démolition d'un patrimoine relevant de la société Alexo-Béjaïa. Vous rappelle que le projet en question procède d'une décision prise par le Conseil des participations de l'Etat et n'est susceptible d'aucune remise en cause. Vous demande prendre toutes dispositions pour application immédiate des présentes instructions et me tenir informé. Urgence et importance signalées. » Ainsi, le projet serait-il « intouchable » au point d'adapter les textes à lui ? Jeu d'injonctions Cette injonction est aussitôt suivie de l'annulation du décret de démolition et les matériaux saisis reprennent le chemin d'Alexo. Des lectures n'ont pas tardé à se faire à propos du fameux message du cabinet du département ministériel de Nouredine Yazid Zerhouni. Beaucoup ont, en effet, interprété cela comme une façon voulue de contourner « l'écueil » du wali qui aurait entériné la décision de démolition. Le wali semble ainsi adopter une position « de principe » au moment où l'annulation de l'arrêté de démolition est venue effacer d'un trait le caractère « illicite » de la construction. L'injonction n'a pourtant rien changé au problème du POS qui reste posé à ce jour, malgré le déplacement à Béjaïa de l'inspecteur général du ministère des Participations et de la Promotion des investissements (MPPI), M. Hamadat, dont la réunion qu'il a présidée, en septembre 2005, n'a apparemment pas apporté grand-chose. Se dirigera-t-on quand même vers la révision de ce plan ? Selon l'APC, le POS n'a fait que traduire des projections d'avenir approuvées en assemblée et en présence des parties concernées au moment où les responsables d'Alexo pensent qu'il a tout simplement fait « abstraction de la zone ». Une « erreur » pour la correction de laquelle on semble vouloir faire des pieds et des mains. Les textes réservent l'éventualité de la révision de ce plan à l'assemblée communale dont seule la défaillance justifierait le recours à un arrêté exécutif du wali. Un arrêté qui, faut-il le rappeler, n'existe toujours pas. Et vu les positions tranchées des uns et des autres, toute retouche du POS paraît être une entreprise malaisée. Du moins, par ces circuits sus-mentionnés. Un peu à l'exemple de l'autorisation d'exploitation définitive qu'Alexo ne détient pas encore. « Elle est en train de se faire par les services de la wilaya », nous confie, laconiquement, M. Aberkane. La même réponse nous sera d'ailleurs donnée par son chef de projet à propos de la révision du POS. Depuis le reclassement de l'unité Alexo à la rubrique 214/1 dans la nomenclature des installations classées, le wali a hérité de la gestion du dossier avec, bien entendu, la prérogative de l'établissement de l'autorisation d'exploitation qu'il n'a jusque-là pas fait. Il est de fait permis de croire que les arguments déjà soulignés par l'APC sont ainsi partagés par le premier magistrat de la wilaya. Une position qui tranche en tout cas avec l'« appui » jusque-là manifesté par le reste de l'administration au projet Alexo, notamment celui exprimé sur cette correspondance de la wilaya adressée le 28 juin dernier au chef du centre Sonelgaz de Béjaïa, lui enjoignant d'« accorder un intérêt particulier à ce projet par l'intervention rapide de vos services pour la concrétisation urgente de l'opération ». Le document est signé de la main du secrétaire général de la wilaya. Etrangement, son objet ne définit pas le projet qui est à raccorder. Une omission ? En tout cas, cette lacune est pour beaucoup dans l'équivoque qui a induit en erreur la direction de l'urbanisme et de la construction. C'est du moins ce qui est invité à comprendre. En effet, le document du SG de la wilaya est joint de l'envoi de la direction des mines et de l'industrie (DMI) qui a émis un avis favorable pour le branchement en gaz au même titre que celui de la DUC qui, elle, revoie sa copie une vingtaine de jours plus tard. Dans son deuxième écrit, elle explique qu'elle avait cru avoir affaire au « siège Somacob Amizour construit depuis déjà 20 ans ». Dès lors, l'avis de la DUC devient défavorable au raccordement, au motif de l'absence de permis de construire. Soit « une fausse note » parmi les avis favorables des directions de l'hydraulique, de l'environnement et de la DMI. Chez Alexo, on y a vu une « injonction ». Une conduite à risque L'absence du permis de construire, auquel est liée toute cette affaire, constitue, certes, un élément incontournable, mais reste solidement attaché au point nodal qu'est le problème du POS et la non-conformité du projet à celui-ci absorbe toute l'attention et demeure l'une des raisons du refus de l'APC d'établir et le permis de construire et les autorisations d'ouvrir des tranchées pour le raccordement en gaz et électricité et au réseau d'assainissement. Sonelgaz a en tout cas sauté le pas en branchant l'unité en électricité en attendant de le faire pour le gaz par l'intermédiaire d'un sous-traitant, qui a toutes les peines du monde à le réaliser après avoir ouvert une tranchée sans s'encombrer de l'autorisation de l'APC. Ce qui a conduit la municipalité à actionner la justice contre Sonelgaz. Une conduite de gaz a été réalisée avant d'être démontée par les services de la commune et le rétablissement a été empêché par deux fois. « On ne les laissera pas passer par la force », jurent les uns. « On y arrivera », répondent les autres. L'unité Alexo fait suffisamment parler d'elle sur fond d'un enchevêtrement administratif à plusieurs niveaux de responsabilité. Aujourd'hui, l'action contestatrice de l'APC promet d'être systématique et le PDG d' Alexo, qui recommande de dégager un autre terrain pour l'habitat collectif, entend mettre en service son unité, à l'aide du gaz propane, ce 4 septembre avec l'arrivée attendue des techniciens espagnols. Un match au finish.