La Kabylie orientale dans l'histoire, Pays des Kutama et guerre coloniale de son auteur Hosni Kitouni est de ses livres essentiels mais surtout salutaires. L'auteur, économiste de formation et réalisateur d'émissions à la radio, s'intéresse à une région souvent oubliée et mal étudiée : la Kabylie orientale, ou Kalaile El Hadra. Le livre, fort utile, est né, explique son auteur, d'un sentiment d'injustice : «Pourquoi El Kabaile El Hadra (La Kabylie orientale) - pays des Kutama - berceau d'événements historiques considérables dont les répercussions ont touché tout le Maghreb et le Moyen-Orient, est-elle restée hors du champ des études historiques ?», s'interroge à raison H. Kitouni, qui se demande aussi pourquoi ces «Kabyles», parlant «arabe» mais qui refusent obstinément de se revendiquer de cette ancestralité ? S'appuyant sur une documentation importante, fruit en grande partie du travail de l'ethnologie coloniale qu'il a battue en brèche, le chercheur en histoire s'est fait fort de démontrer, comme il l'a souhaité dans son introduction, que la région étudiée constitue, en référence à l'historien Marc Bloch, un «faisceau complexe de conditions physique et de traditions humaines» (p.16). Pour ce faire, il remontera dans l'histoire tumultueuse de la région : depuis la lointaine Antiquité, jusqu'à l'époque moderne, en passant par la période riche du moyen-âge, où ce composant essentiel du Maghreb central a participé à façonner l'histoire de l'Afrique du Nord et celle d'une partie de l'Orient. L'auteur ne pouvait s'intéresser à cette aire géographique sans évoquer l'origine étymologique du mot Kutama. «Le nom ancien sous lequel cette tribu est signalée pour la première fois est Kédamousien. (…) Mais la preuve attestée de la présence de ces Kédamousiens a été fournie par une inscription gravée sur un rocher retrouvé au col de Fdoules. (…) Il faudrait attendre les chroniqueurs arabes pour voir établie de manière explicite l'existence de cette tribu, qui prendra sous leur plume le nom de Kutama et sa généalogie enfin sortir des nimbes», écrit H. Kitouni, qui convoquera également l'historien Ibn Khaldoun qui a retracé la généalogie de cette tribu, dont les membres sont les enfants de Ketam ou de Tem, fils de Bernis et donc de la même souche que les Sanhadja (p.47). L'ouvrage, réparti en cinq livres (chapitres), donne à voir également la succession de révoltes qui ont marqué les populations locales, surtout après l'arrivée des Français (la partie la plus étoffée et la plus longue de l'ouvrage). A chaque tentative d'incursion des révoltes éclateront. Il y aura les révoltes des chourafa, l'insurrection de 1871, l'embrasement de la région et à la fin la revanche du parti colonial (livre quatrième). La domination coloniale aura, explique H. Kitouni, un effet néfaste : celui d'effacer plusieurs siècles d'histoire. Dans le livre cinquième qui clôt l'essai, l'auteur évoquera la ruine des familles, après celle des tribus. De l'étude des populations se dégageront des caractéristiques, par comparaison aux Kabyles du Djurdjura (Kabaile Ennighass), étudiés au début de la colonisation par Etienne Carette (1847) : l'indépendance du joug turc, l'usage d'un arabe particulier, à partir de Choba-Siama Mansourah, l'habitation en clairière (deux marqueurs historiques), la prédominance de la culture des arbres à fruits et l'exercice des arts professionnels. Le travail, fort intéressant de H. Kitouni, gagnerait à être poursuivi par des chercheurs. On croit savoir d'ailleurs que la direction de la culture de la wilaya de Jijel s'emploie depuis quelque temps à faire connaître le pays des Kutama par des travaux de terrain et des fouilles. C'est alors que l'histoire de cette partie de l'Algérie sera connue de tous… La Kabylie orientale dans l'histoire, Pays des Kutama et guerre coloniale, Casbah Editions, 2013