Les travaux de la conférence sur la responsabilité pénale des personnes morales se sont achevés, hier, en laissant plus d'interrogations chez les magistrats confrontés depuis 2004, à la difficulté de la mise en application de la loi 04-14 du 10 novembre 2004, base légale pour la mise en inculpation de toute personne morale. Peut-on convoquer une personne morale ou la ramener de force avec un mandat d'amener ? Les convocations sont-elles à l'adresse du siège social ou à celle de la personne morale ? Peut-on l'entendre sur un procès-verbal ? Comment lui appliquer la procédure d'inculpation ou de sanction ? Lors de l'enquête préliminaire, est-ce que le juge convoque la personne morale, son représentant légal ou judiciaire ? Ce sont là les questions qui revenaient à chaque fois lors des débats. « Les lois spécifiques, telles celles ayant trait à la lutte contre la corruption, sur la contrebande, sur les mouvements de capitaux... évoquent cette responsabilité, mais leur application reste très compliquée », a déclaré un magistrat. Selon lui, le placement sous surveillance judiciaire, par exemple, a été une des sanctions prévues contre les personnes morales, mais le législateur n'a pas défini les voies d'application. « Ce qui pose un grave problème de légalité des sanctions. En fait, la personne morale est poursuivie es-qualité et non pas es-nom », a-t-il noté ajoutant à ce titre qu'il est impératif pour les législateurs de circonscrire la tâche du surveillant judiciaire à l'opération liée à l'infraction et de la limiter dans le temps. Juges et parquetiers ne se sont pas mis d'accord sur certains points de procédure d'application de la loi 04-14, notamment en ce qui concerne la possibilité ou non de l'audition préliminaire sur procès-verbal de la personne morale. De nombreux juges ont insisté sur la mesure de mise sous surveillance judiciaire et l'interdiction des activités, qui selon certains d'entre eux, peuvent avoir des répercussions très graves sur l'entreprise incriminée et son activité. « Il faut être conscient des enjeux de telles mesures, mais aussi du fait que les sociétés étrangères qui s'installeront dans le pays sont rompues aux procédures juridiques et face auxquelles les juges ne pourront rien faire. » Les participants à cette rencontre n'ont finalement pas eu les réponses voulues sur une loi qu'ils n'arrivent pas à mettre en application du fait de son ambiguïté. Cette situation est la même dressée par Isabelle Hamer, invitée d'honneur, juriste belge qui travaille au service de la politique criminelle du ministère de la Justice belge. « C'est un principe innovateur, y compris chez nous. Il faut du temps pour pouvoir le mettre en application. La loi algérienne, très proche de celle de la France, est plus cohérente que la nôtre. Il faudra peut-être commencer par informer les services de police, de la gendarmerie, les parquetiers et les juges d'instruction (...) Nous avons fait la même chose, nous aussi, mais sachez que les changements prennent du temps », a déclaré Mme Hamer, en marge des travaux. Elle a reconnu que le débat ouvert sur le thème est très important. « Nous avons eu les mêmes discussions entre magistrats pour sortir avec des propositions de renforcement de la loi. Je pense que ce sera le même cas chez vous. » A signaler que cette conférence entre dans le cadre de la spécialisation des magistrats. Une autre conférence, de trois jours, aura lieu à partir de demain, et concerne la criminalité financière et le financement du terrorisme regroupant de nombreux spécialistes, dont des banquiers français et des membres du Groupe d'action financière, un organisme intergouvernemental qui a pour mission de développer et promouvoir les politiques nationales et internationales visant à lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. C'est également un organe de décision, fondé en 1989, qui s'efforce de susciter la volonté de réforme des lois et réglementations dans les domaines de sa compétence. Les juges concernés par ce cycle de conférences sont ceux exerçant dans des cours qui ont eu ou auront à traiter les dossiers liés à la criminalité financière, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.