Par : Nour-Eddine Saoudi. Archéologue, musicologue, musicien Rares sont dans notre pays, l'Algérie, les hommes de culture qui se sont battus par la plume et le plectre pour défendre et donner de la visibilité à l'art dont ils étaient porteurs. Dans cette catégorie « d'êtres de lumière », comme il me plait de les qualifier, Cheikh Sid-Ahmed Serri, occupe une place particulière. Véritable maillon d'une chaîne vivante de la transmission du patrimoine musical andalou dans le style Cena'â (et dont il occupe aujourd'hui l'ultime étape), il est de tous les combats pour préserver cet art séculaire. Sur le plan de l'enseignement d'abord : au-delà de la transmission des secrets des noubate comme éléments fondateurs d'une mémoire à laquelle il s'est fait un devoir de poursuivre la pérennité, il se distingue par un rigorisme qu'il considère comme seul référent digne de préserver et sauvegarder l'intimité de la mémoire des aînés. Sur le plan de l'écrit ensuite pour interpeller les consciences sur les dangers d'une liquéfaction de cette même mémoire en raison non seulement des appauvrissements récurrents auxquels la musique classique algérienne, toutes écoles confondues, est confrontée, mais également de son travestissement en raison d'altérations liées à des manipulations multiples et à des « réajustements douteux ». Ce qui, inévitablement, viderait de son sens à terme, les merveilleux équilibres de créations, contenues dans les noubate. Il est ardu de cerner la personnalité de Sid-Ahmed Serri et de son riche parcours, car, quelque soit notre connaissance, nous nous heurterons toujours à une part de secret de passion et de « serr » (secret) dont il porte le nom de manière altière. Cette même passion qui va le dévorer dès son jeune âge pour l'emmener à fondre, à travers des Associations musicales comme El Andaloussia, El Hayat et El Djazaïria, dans les arcanes les plus intimes de la musique andalouse d'obédience algéroise. Douée d'une mémoire prodigieuse et servie par une voie mélodieuse et assurée, il ne tarde pas à s'affirmer auprès de ses pairs et de se faire connaître du grand public. En véritable pèlerin, il ne cessera dès cet instant, d'investir tous les domaines de socialisation qui lui semblent avoir de l'intérêt pour la sauvegarde de l'héritage confié notamment par son maître et ami, Abderrezzak Fekhardji. Dans cet esprit, Sid-Ahmed Serri a fait preuve, malgré l'hostilité parfois, du temps et de l'environnement conjoncturel, culturel et ou politique, d'une grande énergie. Professeur tour à tour, à El-Djazaïria/El-Mossilia (1952/1988), au Conservatoire d'Alger, à l'Institut National de Musique et à l'Ecole National Supérieur, ce dynamique maillon de la transmission, a semé, pour le bonheur de tous, l'amour de l'art des Noubate à plusieurs générations de talentueux musiciens, qui oeuvrent et veillent eux-mêmes aujourd'hui, en Algérie et à l'étranger, à la perpétuation de cet héritage. Lorsqu'en 1988, il crée et anime l'Association El-Djazaïria/Ettaâlibyya, il ne fait que répondre à ce profond élan de l'être, comme l'écho d'une prière qui provient d'une prestigieuse civilisation qui fut et à laquelle il appartenait et à laquelle il lui appartenait de répondre. C'est cette même voix qui va ensuite le guider dans la création en 1989 avec le concours de nombre d'acteurs de la dimension andalouse, de la Fédération Nationale de Sauvegarde et de Promotion de la Musique Classique Algérienne et dont il présidera les destinées. Quintessence de ce riche parcours, raisonné de sa part, et sûr d'une mémoire à laquelle il est resté fidèle, celle en particulier de son maître et ami, Abderrezzak Fekhardji, il éditera en 1997, un recueil, réédité en 2006, de toutes les œuvres admirables, que sa mémoire a capitalisé sur plus d'une soixantaine d'années de pratique. Cette même mémoire qui sera pérennisée, pour le bonheur de toutes les générations d'aujourd'hui et à venir, à travers l'enregistrement sonore pour l'Ecole d'Alger, de l'intégralité de son répertoire de musique classique algérienne. Fidèle à lui-même, comme au premier jour, il demeure, aujourd'hui pour la Cena'â, le témoin indiscutable de toute la dimension musicale andalouse du 20° s et la référence incontournable pour tout discours de structuration à venir et le gardien de nos égarements. La fidélité à son art n'a d'égal que cette émotion empreinte de loyauté qui se dégage à l'évocation de son maître, Abderrezzak Fekhardji. Sous cette apparente rigide dureté apparaît l'homme, Ahmed Serri, dans toute sa loyale dimension au regard du message des anciens, refusant les compromissions qui altèrent les sens et hypothèquent nos lendemains. Sid-Ahmed Serri est le creuset d'une confidence musicale séculaire mais également le témoin vivant et l'acteur prodigue de son temps. Il nous appartient aujourd'hui de construire notre présent et notre avenir sur cette généreuse main tendue et cette écoute sans réserve, à travers le respect, l'égard et l'attention de cette partie de nous-mêmes que sont ces êtres de lumière. Ultime Nouba, Cheikh Sid Ahmed Serri, vient de nous quitter. Hommage et respect pour le parcours et le testament.