Les associations de la diaspora algérienne continuent à recueillir les plaintes de ressortissants ayant été victimes d'agressions verbales ou physiques aux consulats algériens de France. Pour expliquer cette situation, certains évoquent le manque de personnel, d'autres accusent l'Etat. «Les consulats algériens en France nous rappellent la crise économique vécue pendant les années 1990 en Algérie. Les gens font des chaînes interminables qui commencent parfois à 5h du matin. Ils gueulent, s'insultent et se bagarrent. Malheureusement, il y a des altercations quotidiennes. C'est infernal.» Wahid, la quarantaine, marié et père d'une fille de deux ans, raconte ce qu'il a vécu, le 3 décembre dernier, avec sa femme dans un consulat algérien dans le sud de la France. «Je venais juste de déposer mon dossier pour l'acquisition de mon passeport biométrique, chose que le consulat a refusé à ma femme à qui il manquait la carte consulaire. Et au moment où on attendait notre tour au service concerné, un agent a quitté son guichet et a exigé de nous, sur un ton menaçant, de regagner la salle d'attente. Je lui ai expliqué pourtant qu'elles étaient toutes pleines à craquer, en vain. Il a insisté en nous hurlant dessus : ‘‘dégagez !'' Puis, il s'en est pris à une vieille de 90 ans qui avait oublié son ticket. Je suis intervenu pour le calmer, et c'est là qu'il m'a donné un coup de poing au visage, me causant une fracture au nez et plusieurs fragments au profil», témoigne Wahid. Agresseur Ce ressortissant algérien qui habite Marseille a eu dix jours d'incapacité temporaire de travail, ce qui constitue, selon la législation française, un fait grave, affirme Yougourthen Ayad, président de l'association «Algériens des deux rives et leurs amis» (Adra), qui a reçu la plainte de Wahid. «Son agresseur risque la prison, car dépasser huit jours d'ITT est considéré comme un acte grave, assure le président d'Adra. Nous sommes la cinquième génération d'Algériens en France et nous avons toujours le même nombre d'employés dans nos consulats. Il y a un afflux important de ressortissants qui viennent chaque jour pour régler leurs papiers. Ils sont pris en charge par un personnel insuffisant qui travaille sous pression. C'est cette situation qui génère ces problèmes.» La scène vécue par Wahid n'est pas un fait isolé. Il suffit de taper «consulat d'Algérie en France» sur YouTube pour tomber sur des dizaines de vidéos, diffusées par les Algériens établis en France, qui expliquent la situation «déplorable» dans nos consulats dans l'hexagone. «Prendre un rendez-vous pour déposer un dossier peut prendre jusqu'à quatre mois. Dans certains consulats, vous ne pouvez pas avoir de ticket d'entrée si vous n'avez pas payé 20 euros à l'agent d'accueil. Acquérir un passeport biométrique est très éreintant, compliqué et coûteux pour nous qui vivons à plus de 100 km de Paris. Idem pour l'extrait de naissance S12 et pour la carte consulaire. C'est plus qu'un défi pour beaucoup d'entre nous», avoue Karim, un résident algérien à Paris. Lamamra Yougourthen Ayad revient sur la nature des plaintes déposées par les victimes dans son association : «Nous avons reçu plus d'une trentaine de plaintes depuis août dernier. Il y a eu des séquestrations au consulat de Paris. Des échanges verbaux et des violences dans le consultas de Vitry, Bobigny et Nanterre. Des Algériens ont été intimidés et ont vu leur téléphone confisqué, puis séquestrés comme c'était le cas à Nanterre et Vitry. Nos autorités ne portent aucune considération pour nos ressortissants. Nous n'avons pas arrêté de déplorer cette situation, en vain. Nous avons contacté certains de nos députés qui n'ont malheureusement rien fait jusque-là», s'indigne Yougourthen. L'indignation des ressortissants algériens en France a poussé le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, à effectuer une visite inopinée, la semaine dernière, au consulat de Bobigny et à celui de Nanterre à Paris. Sur place, le ministre a écouté les doléances des ressortissants. Bobigny Idem pour le ministre de l'Intérieur, Noureddine Bedoui, qui s'est rendu, avant-hier, au consulat de Bobigny où il a pu s'enquérir des problèmes de l'administration, notamment par rapport aux passeports biométriques qui causent d'énormes complications aux binationaux comme au personnel des 18 consultas. Mais les associations, elles, comme celle d'ADRA, «attendent du concret», affirme encore Yougourthen. Chafia Mentalecheta, députée de la communauté étrangère établie en France (voir interview), est l'une des quatre députés algériens en France à avoir soulevé la question des consulats au niveau de l'Assemblée populaire nationale. Dans deux lettres adressées, il y a un mois, au Premier ministre et au ministre des Finances, la députée avait tiré la sonnette d'alarme sur la situation qui prévaut dans les 18 consulats hexagonaux. «Seuls certains consulats à faible densité continuent à fonctionner par prise de rendez-vous. Pour les autres, les ressortissants refont la chaîne pour avoir le ticket de passage, même pour s'informer par exemple. L'attente se fait parfois dehors, dans des conditions métrologiques catastrophiques. La chaîne commence parfois à 21h. Le stress et le sentiment de perdre son temps font oublier le sens de la raison. Les altercations ne multiplient, lit-on dans la lettre de la députée. En 2014, il a été décidé que le personnel des consulats soit renforcé par 100 personnes, mais rien n'a changé depuis car le recrutement se fait malheureusement selon le carnet d'adresses des candidats.» Binationaux L'autre association qui s'intéresse de près à ce dossier et qui est l'une des associations qui a porté le problème de rapatriement des corps en Algérie qui sont toujours à la charge des familles est Diasporas des Algériens résidant à l'étranger (DARE). Son vice-président, Otman Douidi, évoque entre autres le problème de compétences parmi le personnel travaillant dans ces consulats. «85% du personnel est recruté sur la base de connaissances. Prenez leurs noms et vérifiez-les. Ils se ressemblent tous, dénonce-t-il. Il faut que ça change. Il faut en finir avec le parachutage de gens qu'on envoie à partir d'Alger. Recrutons ici. Nous avons des compétences qui connaissent très bien les problèmes de notre diaspora.» Selon le président d'Adra, un million et demi d'Algériens résidant en France n'ont pas encore eu leur passeport biométrique. Ce problème sera, selon lui, loin d'être réglé après la nouvelle disposition interdisant aux binationaux d'entrer sur le territoire national sans le passeport algérien. Yougourthen Ayad propose de renforcer l'effectif des 18 consulats avec 300 vacataires, dont 200 rien que dans la région d'Ile-de-France et réfléchir à mettre en place des consulats mobiles pour absorber les demandes des autres départements. Le ministère des Affaires étrangères à Alger et l'ambassade d'Algérie à Paris n'ont pas donné suite à nos demandes de précision.