La question est bien simple : qui remportera l'élection présidentielle d'aujourd'hui au Brésil. La réponse l'est tout autant : c'est le président sortant Lula. Une précision, ce sera une victoire par défaut. Entendre par là que l'ancien syndicaliste devenu président n'a pas d'adversaire à sa taille, ou encore que Lula, par son travail, a tout simplement fait le vide autour de lui, malgré les scandales qui ont touché jusqu'à son plus proche entourage. Avec lui, le Brésil a poursuivi son ascension quittant sa coquille de pays émergent. C'est un nouveau géant qui frappe à la porte des quelques grands qui dirigent les affaires de ce monde. Avec aussi des symboles forts – une image rapportée par un connaisseur – celle des avions brésiliens Embraer qui dament le pion à leurs homologues et dans leur propre territoire. Ainsi donc, le président Lula se présente en favori à l'élection présidentielle d'aujourd'hui avec un bilan plus que flatteur. C'est là son programme, malgré le scandale du dossier anti-opposition qui a jeté une ombre sur sa campagne. Les sondages lui donnent une vingtaine de points d'écart sur son poursuivant immédiat, Geraldo Alckmin, candidat du Parti de la social démocratie brésilienne (PSDB). Les deux candidats dissidents du Parti des travailleurs (PT) de Lula sont loin derrière : la radicale Heloisa Helena, à 8% et Cristovam Buarque, ex-ministre de l'Education de Lula, à 2%. Les Brésiliens les plus pauvres constituent les gros bataillons des électeurs favorables à un renouvellement du mandat de Lula : grâce aux programmes d'assistance, à la hausse du salaire minimum et au ralentissement de l'inflation, la misère a reculé en quatre ans. Dans le Nord-Est pauvre, dont il est originaire, Lula enregistre des intentions de vote autour de 70%. Malgré cela, l'ancien syndicaliste, élu président en octobre 2002, a été amené, pour la première fois depuis le début de la campagne, à envisager l'hypothèse d'un second tour de scrutin. « Il n'y a pas d'élection gagnée avant le décompte des voix », a-t-il jugé utile de rappeler après une semaine noire au cours de laquelle il a démis le coordinateur de sa campagne, Ricardo Berzoini, président du Parti des travailleurs (PT). Au total, huit personnes de son entourage proche ou liées au PT ont été écartées de son équipe de campagne. La cause de ce bouleversement intempestif : le scandale désormais baptisé « dossiergate » par la presse, dans une évocation du scandale du Watergate qui avait contraint le président américain Richard Nixon à la démission en 1974. Le Président est désormais l'objet, à la demande de l'opposition, d'une enquête du Tribunal supérieur électoral (TSE) pouvant mener à une annulation de sa candidature. En cas de réélection de Lula, la procédure peut mener à une destitution du président par le Suprême tribunal fédéral (STF), la Cour suprême brésilienne, selon Maria Celina d'Araujo, professeur de sciences politiques de la Fondation Getulio Vargas. Le 15 septembre, la police fédérale avait arrêté deux hommes en possession de 800 000 dollars. Il ont avoué avoir été chargés par le PT de négocier un dossier prétendument compromettant pour deux des principales personnalités de l'opposition : José Serra, candidat du PSDB au poste de gouverneur de l'Etat de Sao Paulo et Geraldo Alckmin. Lula n'a pas eu de mots assez durs pour se distancier de cette action « abominable ». « Imbécillité, folie, insanité », a-t-il jugé en demandant « une enquête rigoureuse ». Mais pour Geraldo Alckmin, « personne ne peut croire que le président ne sait rien, qu'il a été pris par surprise ». Lula avait fait savoir, en se séparant d'un de ses conseillers spéciaux, Fred Godoy, impliqué dans l'affaire, que tout cela l'avait rendu « triste et angoissé ». Mais ses états d'âme n'ont pas duré. Après avoir fait le ménage autour de lui, Lula a repris l'offensive en vue de la dernière ligne droite de la campagne. Il a accusé l'opposition de vouloir lui faire quitter le pouvoir par « d'autres moyens » que le vote des citoyens. « Il y a des gens dans ce pays qui ont dit : on va laisser l'ouvrier venir, il va échouer et on va revenir en force. Sauf que les chiffres montrent que nous avons mieux réussi qu'eux et eux, maintenant, ils sont anxieux de voir s'il existe d'autres moyens que l'élection démocratique pour éviter que nous dirigions le pays ». Dans ce climat, le débat proposé par l'entourage de Lula sur un accord national pour voter les réformes consensuelles a été étouffé dans l'œuf. Mais le problème subsiste : quel que soit le résultat de la présidentielle, aucun parti ne disposera d'une majorité claire et stable au Parlement issu des élections législatives qui ont lieu parallèlement. Affaires ou pas, rien ne semble arrêter la déferlante Lula qui a su faire preuve de réalisme et de pragmatisme. Il a tenu ses promesses envers les classes défavorisées, ou encore ces paysans sans terre auxquels il a accordé une allocation – de subsistance diront certains – qui n'a pas mis en danger les grands équilibres. Ce sont déjà de nouveaux consommateurs pour la simple statistique. Et également un électorat pour Lula, du moins une partie, car l'essentiel se recrute ailleurs et même dans toutes les classes y compris celle des affaires qui ont compris que Lula a su lui aussi s'adapter à la réalité de son pays.