Il est le célèbre locataire du 26, rue Larbi Ben M'hidi, à Alger. Il est la mémoire de ce haut lieu dédié au 7e art. La fameuse Cinémathèque algérienne où il y officia 34 ans à titre de directeur. C'est Boudjemaâ Karèche, Boudj comme on l'aime l'appeler. Quand on évoque le nom de Boudjemaâ Karèche alias Boudj, c'est un pan entier de l'histoire du cinéma algérien et universel qu'on convoque. Durant ce cinquantenaire de la Cinémathèque algérienne — créée le 23 janvier 1965 par Ahmed Houcine et Jean Michel Arnold — on ne peut pas faire l'impasse d'un hommage de son vivant. Car Boudjemaâ Karèche aura été et sera toujours cette âme, ce défenseur, ce protecteur, ce templier, ce garant et cet «allumé» du cinéma qui, malheureusement, ne voit presque rien. Comble de l'ironie pour cette «encyclopédie» filmique vivante. Boudjemaâ Karèche est ce loup blanc d'Alger et d'Algérie, à la cinéphilie à fleur de peau, au look «progressiste» pour ne pas dire «anti-impérialiste» (de gauche, quoi), barbe hirsute, lunettes cerclées des années 1970 et look de bohème, chapeau ou béret noir, écharpe... Et ce faux air du réalisateur américain Abel Ferrara (The King of New York, Bad Lieutenant) actuellement. Du côté de la Madrague Si vous allez à la Madrague, rebaptisée El Djamila, sur la côte ouest de la capitale, vous tomberez inévitablement sur un septuagénaire dépliant une chaise, ouvrant une mallette et vendant ses livres. Un jour un film, Juste un mot et L'Héritage du Charbonnier qui a été publié à compte d'auteur avec le soutien du quotidien El Watan. C'est Boudjemaâ Karèche partageant sa passion livresque et cinéphile avec un hypothétique curieux. Le virus du cinéma, il l'a chopé au lycée de Ben Aknoun, alors qu'il assurait la fonction de maître d'internat. Au ciné-club. Le choc émotionnel fut Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica (1948). Un film qui le marquera toute sa vie. Cette histoire d'un père de famille pauvre de l'immédiat après-guerre qui s'est fait voler l'outil de travail indispensable à la survie de sa jeune famille, sa bicyclette. Son cinéma Paradiso à lui. «J'ai suivi le cursus de la fac de droit de 1964 à 1969. Après les études, en 1970, j'ai entretenu ma passion pour le 7e art en compulsant les Cahiers du cinéma de Lyazid Khodja, alors étudiant à l'Institut du cinéma, en France. Et puis, j'ai été sollicité pour intégrer l'équipe de la Cinémathèque algérienne avec Lyazid Khodja, sous les auspices d'Ahmed Hocine pour quelques mois. Un coup de foudre. Jusqu'en 2004, année où Khalida Messaoudi, alors ministre de la Culture, m'a renvoyé comme un malpropre. C'était comme si on m'avait rejeté de ma ville. Depuis 2004, je n'ai plus remis les pieds à Alger je ne suis plus passé devant la Cinémathèque», clame-t-il avec amertume et une pointe de tristesse son amour infini pour la Cinémathèque algérienne. Ce haut lieu, est la mémoire du cinéma. Il a vu défiler de grands noms comme les réalisateurs Ahmed Rachedi (L'Opium et bâton), Lakhdar Hamina (Chroniques des années de braise, Palme d'or au Festival de Cannes en 1975), Merzak Allouache (Omar Gatlatou), Ousmane Sembene (La Noire de.., Le Mandat), Youcef Chahine (Le Moineau), Alain Tanner (Charles mort ou vif), René Vautier (Avoir vingt ans dans les Aurès), Costa Gavras (Z), Jean-Luc Godard (A bout de souffle), Mohamed Zinet (Tahia Ya Didou), Mohamed Slim Riad (Sana'oud, Vent du Sud), Mustapha Badie (L'Evasion de Hassan Terro) ou encore Gillo Pontecorvo et son fameux et historique film La Bataille d'Alger. L'apogée du cinéma et de la cinéphilie ponctuée par le Festival panafricain de 1969, la révolution agraire, le volontariat estudiantin ou encore le mouvement anti-impérialiste. Confirmé dans sa fonction de directeur de la Cinémathèque, Boudjemaâ Karèche sillonnera le pays à la manière du cinéma Paradiso. Une belle initiative qui aboutira à plusieurs Cinémathèques ouvertes ou grand bonheur des amateurs de bonnes toiles. Durant la décennie noire 1990, pas du tout dissuadé par l'intolérance, l'intégrisme et le terrorisme islamiste, il continue à programmer et projeter un film chaque jour. Même lieu, même porte, même heure. A 10h. Un défi. «Ce qui me révolte le plus, c'est qu'en plus du terrorisme, j'ai le sentiment que ce pays est totalement arrêté… Quand je suis arrivé à la Cinémathèque algérienne, c'était un grand moment de création et de réflexion. C'est ce qui m'a retenu. Tout cela n'existe plus. Or, le terrorisme et l'intégrisme ne peuvent être vaincus que par la culture, le beau… Maintenant, sur le plan concret, rendez-vous dans huit mois. Si je suis encore là, c'est gagné. Sinon, cela veut dire que je suis mort», avait-il déclaré à la regrettée journaliste de la Nation, Baya Gacemi, dans un entretien datant de 1993. Boudjemaâ Karèche prépare un autre ouvrage, Encore un mot, retraçant les 50 ans de la Cinémathèque algérienne entre coups de cœur et coups de gueule contre ceux qu'il qualifie de «faussaires du cinéma». C'est sûr, «Boudj» veut crever l'abcès… de fixation, crever l'écran… de fumée.