Bien avant le déferlement de la violence terroriste, la cinémathèque algérienne a été l'un des symboles de la résistance à l'intégrisme. Karèche résistant? Manifestement oui. L'homme a résisté à la tentative de mise à mort du cinéma en Algérie. «Les politiques n'aiment pas le cinéma, parce qu'il apprend aux jeunes la vraie liberté». L'invité de L'Expression qui, du haut de ces 64 ans, affiche une mine très en forme et surtout une liberté de ton qui confirme largement ces propos sur le rôle libérateur du 7e art. Boudjema qui, sur trois décennies, visionnait des films comme on prend son petit-déjeuner, sait vite de quoi il parle. Et c'est cette attitude de «véritable homme libre» qui l'a poussé à ne pas courber l'échine, à ne pas prendre son statut de fonctionnaire de l'Etat, au pied de la lettre, Boudj, en réalité, n'était «fonctionnaire» que parce que ce mot était écrit sur sa carte professionnelle et, aussi, parce qu'il percevait un salaire. Et pour cause, rien dans son discours et encore moins dans son parcours, n'indique que l'homme s'est satisfait de la mission qu'on lui a confiée. Non. Boudj a été de tous les combats pour l'émergence d'un véritable cinéma national. Nageant à contre-courant de la pensée dominante, il a su imposer l'institution qu'il dirige. Il en a fait le centre d'intérêt des cinéastes du monde entier. En un mot, il a résisté. C'est, disons-le, dans l'ordre des choses, si cet homme libre a résisté à l'hydre intégriste qui s'est abattue sur le pays vers la fin des années 80. Là aussi, Boudj a ramé à contre-courant. Il a défié l'ex-FIS. Lorsqu'on évoque avec lui cette période noire de l'histoire du pays, Karèche ne donne pas l'impression de demander une «médaille de résistant». Non, c'est très naturellement qu'il répond qu'à l'époque, malgré les bombes et les menaces de liquidations physiques, il poursuivait sa mission. Mais bien avant le déferlement de violence, c'est la cinémathèque algérienne qui a été l'un des symboles de la résistance à l'intégrisme. Notre invité raconte l'épisode de la salle de répertoire de Bordj Bou Arréridj, lorsque fermée par le maire d'obédience islamiste, il a embarqué plusieurs artistes pour aller défendre le 7e art, là où on le malmenait. Il a pris cette initiative, comme on prendrait un taxi pour rendre visite à une jeune fille malmenée par son beau-père. Et là, dans les locaux de l'APC de BBA, il découvre toute la laideur du discours islamiste. Plus de 15 ans après, il en parle comme si c'était un cauchemar. «J'ai compris qu'avec ces gens-là, il n'y avait rien à faire, c'étaient des fous.» Il a bel et bien senti, voire toucher le danger qui guettait le pays. Il savait, au même titre que tous les artistes qui l'accompagnaient dans cette mission de «sauvetage» d'une salle de répertoire de la cinémathèque algérienne, que sa vie ne tenait qu'à une fatwa. Pourtant de 90 à 99, il est resté à Alger, visionnant quotidiennement un film à 10 heures du matin, fréquentant les alentours de la salle de cinéma du boulevard Larbi Ben M'hidi, bravant donc le danger au quotidien. De cela, Boudj en parle comme un «fonctionnaire». «Ma grande peur était de passer devant une voiture piégée en allant au travail». Cela, tous les Algériens le disaient. Boudj est d'abord algérien.