Journée ordinaire dans un pays qui n'en finit pas de tourner le dos à son passé que cette tragique journée du 5 octobre dont il ne reste que les victimes, leurs familles, quelques voix de plus en plus esseulées dans le milieu associatif et partisan pour rappeler que le livre du 5 octobre est toujours ouvert. Il est comme cela des mémoires qui dérangent le pouvoir et qui sont vouées à finir dans les registres de l'oubli. Alors que le calendrier des dates anniversaires se distingue par une inflation de commémorations qui ne font pas toujours le consensus dans la société, des pans importants de notre histoire dont précisément l'évocation de cette page sanglante et controversée des événements du 5 octobre sont volontairement occultés et censurés. Aucun mot et aucune image à la télévision et dans la presse publique. Aucune déclaration officielle pour apaiser les douleurs des victimes et de leurs familles. Tout se passe comme si le 5 octobre n'avait pas existé. Comme si, fait sans précédent dans l'histoire de l'Algérie, des enfants de ce pays n'étaient pas tombés sous les balles de leur propre armée. Si c'est ce condamnable dérapage de l'ANP dont la riposte aura été disproportionnée par rapport à l'événement que l'on voudrait oublier et effacer de la mémoire collective, le fait est aujourd'hui connu de tous et reconnu même par des acteurs de la hiérarchie militaire de l'époque. La controverse sur le bilan des victimes importe peu. Pour la première fois, des victimes bravaient la peur et témoignaient à visage découvert des pratiques de torture institutionnalisées qui avaient bouleversé l'opinion nationale et internationale mettant ainsi à nu la nature répressive du système politique en place. Les retombées du 5 octobre font-elles donc à ce point plus peur au pouvoir que la gestion politique des conséquences de la décennie rouge du terrorisme ? On ne construit pas un Etat fort et pérenne fondé sur la citoyenneté et l'égalité entre tous les enfants de l'Algérie avec une mémoire sélective. Dans dix ans, dans vingt ans, on continuera encore et toujours, dans des cercles de plus en plus restreints, à convoquer l'histoire, à écouter les témoignages bouleversants des victimes, à analyser cet événement sans pouvoir répondre à cette lancinante question : pourquoi octobre, qui était derrière et pour quel objectif ? Les acteurs de ces événements nous quittent les uns après les autres emportant avec eux les secrets sur les véritables enjeux du 5 octobre. Les promesses de démocratisation concédées par le système chancelant pour assurer sa survie n'ont pas survécu aux luttes féroces autour du pouvoir. La parenthèse démocratique fut rapidement fermée. Dix-huit ans après octobre 88, le printemps démocratique n'est toujours pas au rendez-vous.