En dépit de l'absence de cadre réglementaire, le shopping en ligne fait désormais partie du paysage commercial algérien. Alors que l'usage de la carte bancaire reste insignifiant, de plus en plus de sites internet offrent aux Algériens la possibilité de faire leurs emplettes sans se déplacer. Du smartphone aux gros appareils électroménagers en passant par les cosmétiques, l'habillement ou les ustensiles de cuisine, une nouvelle culture s'installe. Batolis, Kamyu, Jumia, DZ Boom, Guiddini, etc. des plateformes d'achat en ligne émergent avec des offres de produits oscillant entre luxe et bon marché. La marchandise est livrée dans un délai de 2 à 10 jours en moyenne et le client devra payer un supplément pour les coûts de transport d'environ 500 DA. Parmi ces plateformes, Batolis.com, lancé par la Sarl Mams Bros le 1er juin 2015, dont le gérant Samir Bouazabia reconnaît que «l'arrivée de la 3G et son déploiement rapide en Algérie ont nettement contribué au lancement du projet». Le site propose une large gamme de produis et de marques «authentiques», assure le responsable qui dit ne travailler «qu'avec des distributeurs et importateurs officiels». Et les choses semblent bien marcher même si notre interlocuteur préfère rester discret sur les chiffres. D'autres évoquent des taux de croissance à deux chiffres et plus. Le marché bien qu'au stade «embryonnaire» est jugé «porteur» et la concurrence «faible». Seul hic, au lieu de payer en ligne avec sa carte bancaire, le client règle en cash, à la livraison. Pourtant l'entreprise a bien tenté d'introduire le paiement en ligne. «Nous nous sommes rapprochés de la Satim et des banques, pour proposer ce moyen de paiement à nos clients, mais malheureusement, la vente de biens matériels n'est pas concernée par cette mesure», explique le gérant de Batolis. Le blocage réside «dans l'absence d'un encadrement juridique et légal». Les acteurs sont donc en attente «de la promulgation des textes de loi clairs qui seront en mesure de protéger les acheteurs et les vendeurs et surtout de réguler les litiges et les infractions.» Le payement en ligne n'étant pas encore possible en Algérie, régler à la livraison est donc contraint, mais ce n'est pas pour déplaire à des clients déjà frileux. Il faut rappeler que les cartes bancaires sont largement sous-utilisées en Algérie. Entre les commerces qui rechignent à s'équiper en TPE (terminaux de payement électroniques) et les clients qui n'utilisent leur carte que pour le retrait d'argent, le cash a encore de beaux jours devant lui. Selon des chiffres officiels donnés par le directeur du Groupement d'intérêts économiques et monétique (GIE), le payement par carte représenterait moins de 1% des transactions bancaires. Le million de cartes de payement distribuées n'auraient généré que 11 000 transactions à travers 193 TPE, alors que l'on compte près de 2800 TPE installés. Selon le global Findex Data de la Banque mondiale, qui mesure l'inclusion financière dans le monde, moins de 8% de la population âgée de plus de 15 ans utilisent une carte bancaire pour effectuer des payements. La Tunisie ne fait pas mieux, l'Egypte ne dépasse pas les 3,5% mais le taux avoisine les 20% au Liban et les 60% aux Emirats arabes unis. Selon cet index, moins de 6% des plus de 15 ans ont utilisé l'internet pour payer des factures ou faire des achats. C'est sans doute pour cela que pour les investisseurs dans le commerce en ligne, l'absence de la possibilité de payement sur internet n'est pas aussi pénalisante. «Cela n'entrave pas le développement de ce marché», estime Samir Bouazabia. Il existe des alternatives comme «le paiement comptant à la livraison que la plupart des acteurs du e-commerce utilisent en Algérie». Selon lui, les consommateurs préfèrent le cash, «demeurent réticents et préfèrent faire confiance aux moyens classiques». Retard Du point de vue de certains experts en TIC, on ne comprend pas encore le retard dans le lancement du paiement en ligne. «Techniquement on est prêt depuis dix ans, mais on trouve de faux prétextes. Il faut une plateforme réseau qui interconnecte les banques, les commerçants, mais la télé compensation existe déjà», estime Younès Grar. Selon lui, le gros problème pour le moment c'est qu'on ne sait pas qui doit «gérer et chapoter ce projet et qui doit en assumer la responsabilité». Plusieurs secteurs sont concernés, les ministères du Commerce, de la Poste et des Télécommunications, la justice, les banques. Selon une source bancaire, le lancement du payement en ligne a nécessité que les banques se mettent «aux normes en matière de traitement des opérations de e-payement», mais il semblerait que le processus n'a pas été mené au même rythme par tous les établissements bancaires et Algérie Poste, qui compte le plus gros réseau de détenteurs de cartes magnétiques. «Un établissement public serait encore à la traîne», nous dit-on. Il dépend par ailleurs de la mise en place d'un cadre réglementaire pour le commerce en ligne qui doit également prendre en compte «l'aspect des restrictions de change» qui existent, indique la même source. La mise en place d'un cadre réglementaire est actuellement «en phase de préparation», selon la ministre de la Poste et des TIC. Cette dernière a, par ailleurs, considéré récemment qu'il serait plus judicieux de développer le payement mobile (m-payement) que d'insister sur le e-payement, qui serait «dépassé». Vers le m-paiement Des déclarations qui ont surpris quelques-uns, d'autant que le m-payement est considéré comme «un support pour le payement électronique», explique Younès Grar. «Si on ne règle pas le e-payement, on ne peut pas résoudre celui du m-payement», insiste l'expert. Pour autant, le choix du m-payement se justifierait à voir les expériences ailleurs dans le monde. Au Kenya, le système électronique M-Pesa a fait de ce pays le champion du monde du m-payement. Il compte plus de 14 millions d'utilisateurs et permet l'échange de plus d'un milliard de dollars tous les mois. Il est aussi utilisé pour régler des factures ou pour recharger le crédit de son téléphone. Le m-payement est donc un bon support pour le payement électronique, estime Younès Grar. «Si on doit installer les TPE au niveau des commerçants, cela va prendre beaucoup de temps et de l'argent, le payement à travers le site web est une bonne chose, mais ce n'est pas tout le monde qui a un accès à un PC et internet. En revanche, pour le mobile, il y a beaucoup de gens qui ont un smartphone et qui sont connectés à travers la 3G», explique-t-il. Le mobile serait un support idéal pour rendre le e-payement opérationnel. Les commerçants auront besoin d'avoir des sites web ou des TPE, ou alors des applications mobiles qui sont aujourd'hui plus «abordables du point vue investissement». Selon le cabinet d'affaires Deloitte, cette année, 50 millions de consommateurs dans le monde seront adeptes des solutions de paiement mobile. En Europe, ils représenteraient près de 30% des paiements en ligne. En attendant, les gérants des plateformes d'achat en ligne tentent de s'adapter. Certains autorisent le payement par un versement sur un compte CCP. C'est le cas de DZ Boom. D'autres, pour éviter les mauvaises surprises à la livraison et les fausses commandes, font signer à leurs clients un formulaire dans lequel ils s'engagent à payer la commande. Il semblerait que certains citoyens, trop incrédules de voir enfin l'achat en ligne possible, ont fait des commandes uniquement pour s'assurer que les offres étaient réelles. De faux achats qui coûtent chers en temps et en argent et qui peuvent représenter jusqu'à 20% des commandes sur certaines plateformes.