Refuser aujourd'hui de respecter le plan de règlement de la crise libyenne négocié sous l'égide de l'Onu équivaudrait, pour les membres qui composent le Parlement de Tobrouk et leurs sponsors, à prendre le risque de se mettre à dos la communauté internationale et surtout les Libyens. Lorsque le nouveau Premier ministre libyen, Fayez El Sarraj, a annoncé, il y a une dizaine de jours, sa décision de s'installer avec son gouvernement à Tripoli, de nombreux observateurs s'étaient empressés de parier qu'il ne tiendrait pas plus d'un mois et qu'il s'en ferait chasser tel un vulgaire malfrat. Une semaine après avoir pris ses quartiers dans la base navale de la capitale libyenne, il a fait mieux que de passer son temps à résister à ses détracteurs. L'homme d'affaires tripolitain est pour ainsi dire sur le point de prendre le pouvoir dans cette partie de la Libye où plusieurs milices armées de diverses tendances idéologiques font la loi depuis 2011, date du renversement de Mouammar El Gueddafi par le couple franco-anglais appuyé par le Qatar. Cette prise de pouvoir annoncée s'est même produite avec une facilité déconcertante. D'abord fermement opposées à l'éventualité de composer avec lui, les autorités non reconnues basées à Tripoli, soutenues par la puissante coalition de milices Fajr Libya (Aube de Libye) ont annoncé en effet, mardi soir, qu'elles abandonnaient le pouvoir à Fayez El Serraj. «Nous vous informons que nous cessons d'exercer nos fonctions exécutives, présidentielles et ministérielles», ont-elle indiqué, expliquant leur décision par leur volonté de «mettre fin à l'effusion de sang et éviter la partition de la nation». Le Congrès général national devient donc de facto le Conseil d'Etat, selon l'accord interlibyen conclu sous l'égide de l'ONU en décembre 2015. Pour le moment, le seul à faire encore de la résistance est le chef du gouvernement non reconnu, Khalifa Ghweil. Il a affirmé hier qu'il refusait de partir. Comment expliquer une telle volte-face spectaculaire ? Comme le soutient sur sa page facebook Hasni Abidi, spécialiste du Monde arabe, ce changement d'attitude peut s'expliquer d'abord par «la peur des menaces de sanctions proférées par la communauté internationale à l'encontre des responsables libyens opposés au nouveau cabinet». L'hypothèse se tient d'autant que l'Union européenne a décidé, vendredi dernier, de sanctionner trois responsables pour leur «attitude d'obstruction» vis-à-vis du gouvernement d'union nationale. Les sanctions en question concernent le président du Parlement de Tobrouk, Aguila Saleh, le président du Parlement de Tripoli, Nouri Abou Sahmein, et le chef du gouvernement de Tripoli, Khalifa Ghweil. Il n'est pas interdit de penser que ce dernier veut d'abord être «blanchi» avant de partir. Khalifa Ghweil fait de la résistance L'autre élément à prendre en ligne de compte dans l'analyse — et qui n'est pas des moindres — est en rapport avec le récent ralliement du gouverneur de la Banque centrale libyenne et du Pdg de la compagnie pétrolière publique libyenne au gouvernement d'union nationale chapeauté par Fayez El Sarraj, qui tient désormais les cordons de la bourse. Jusque-là, ces deux entités finançaient à parts égales les gouvernements de Tripoli et de Tobrouk. Les autorités de Tripoli non reconnues par la communauté internationale ont sans doute fini par comprendre, en ce qui les concerne, qu'il ne servait à rien d'engager un bras de fer avec un gouvernement soutenu par l'ONU avec des caisses vides. Le combat est perdu d'avance. Tout le monde sait que l'argent et les armes sont le nerf de la guerre. Mais il n'y a pas que cela. Des sources fiables ont révélé hier à El Watan que l'Algérie et la Tunisie se sont mobilisées ces derniers jours pour convaincre les autorités de Tripoli, avec lesquelles les deux pays disposent de bons canaux de communication, qu'elles avaient tout intérêt à céder le terrain au gouvernement d'union nationale. Tunis et Alger — dont les positions sur la crise libyenne sont pour ainsi dire identiques — n'ont pas cessé de se consulter sur le dossier. La question est de savoir quelles assurances les autorités de Tripoli et les responsables des milices composant Fajr Libya ont reçu pour accepter de céder le «koursi» de leader à Fajez El Sarraj, qui est également adoubé par une dizaine de localités de l'ouest de la Libye. Il reste tout de même à espérer à M. El Sarraj que tous ces ralliements seront durables. Les retournements de veste et les changements d'alliances sont légion dans la Libye post-El Gueddafi. Ceci pour dire que pour le moment, rien n'est encore acquis pour lui. Quid maintenant du Parlement de Tobrouk qui tarde à donner son feu vert à ce gouvernement d'union ? Craint-il de perdre la main en cédant les rênes du pouvoir ? C'est la grande question. Il apparaît tout de même que le geste fait par les autorités de Tripoli non reconnues par la communauté internationale en faveur de l'apaisement ne lui laisse pas trop le choix. Refuser aujourd'hui de respecter le plan de règlement de la crise négocié sous l'égide de l'Onu équivaudrait, pour les membres qui composent ce Parlement et leurs sponsors, à prendre le risque de se mettre à dos la communauté internationale et surtout les Libyens. Pis encore, cela équivaudrait à faire le jeu du groupe terroriste Daech qui contrôle déjà une portion de la côte libyenne.