Depuis le début du Ramadhan, les ministres défilent les uns après les autres dans le bureau du président Bouteflika pour présenter et défendre les bilans de gestion de leurs secteurs respectifs. La démarche n'est pas nouvelle puisque d'autres auditions du genre ont déjà eu lieu durant les deux mandats de Bouteflika. L'exercice est particulièrement redouté par les ministres, y compris par ceux que l'on présente comme faisant partie du carré présidentiel. Les « coups de gueule » de Bouteflika, dont la télévision retransmet au détour de ses visites sur le terrain des morceaux choisis, ne restent jamais sans suite. Des ministres surpris en flagrant délit de mensonge, comme ce membre du gouvernement que Bouteflika a tancé publiquement devant les caméras de la télévision, et dont les observateurs avaient un peu hâtivement signé la fin de mission au gouvernement, sont étrangement restés à leur poste. Cette pratique, qui amène le président de la République, exerçant les fonctions de Premier ministre, à interpeller les membres du gouvernement à l'occasion de visites d'inspection ou dans le cadre du cycle des auditions comme c'est le cas en ce moment, est proprement inédite. Il n'y a pas d'exemples connus dans le monde que ce soit dans les régimes présidentiels ou parlementaires où les ministres sont comptables de leurs gestions devant deux centres de pouvoir : le président de la République et le chef du gouvernement. Compte tenu de la nature du système politique algérien, s'il est tout à fait normal et politiquement correct que le gouvernement, en tant qu'exécutif et entité censée être homogène rende compte au chef de l'Etat de ses activités et que le chef du gouvernement assure la jonction entre le gouvernement et le président de la République. En revanche, beaucoup ne comprennent pas à quoi riment ces examens de passage auxquels les ministres sont soumis de la part du président de la République. Mise en garde On peut alors se demander à quoi servent les Conseils de gouvernement et les Conseils des ministres qui constituent des espaces organiques où le chef du gouvernement et le président de la République peuvent s'informer des programmes sectoriels, en assurer le suivi, donner des orientations aux membres du gouvernement et prendre les dispositions qui s'imposent contre ceux qui traînent les pieds. Le tout se déroulant dans une ambiance de travail saine et dans le respect des prérogatives constitutionnelles de chacun. Autrement dit, le président de la République ne sera pas amené, par une quelconque vision ou tentation personnelle du pouvoir, à faire le travail du chef du gouvernement et les ministres recouvreront leur statut et leur dignité et n'auront plus à être déférés devant des tribunaux d'exeption, comme cela semble bien être le cas pour ces auditions auxquelles ils sont soumis de la part du président de la République et qui ne sont régies par aucun texte réglementaire. D'une certaine manière, ces auditions et les séances publiques de flagellation des ministres de la part du président de la République sonnent comme un désaveu de l'action du gouvernement et une mise en garde en règle adressée au chef du gouvernement. Cela signifie que le chef du gouvernement n'a pas d'emprise sur son équipe gouvernementale, qu'il encourage le pis aller dans certains secteurs et que, quelque part, on reconnaît qu'il a échoué dans sa mission. Ce mode de gouvernance, très confortable, permet au président de la République de tirer son épingle du jeu et de dégager sa responsabilité lorsque le bateau affronte des ventscontraires en imputant les responsabilités de l'échec ou des mauvais résultats aux ministres, au chef du gouvernement.