Accusée d'avoir maquillé des comptes publics, la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, a cédé hier le pouvoir à son vice-président Michel Temer, après avoir été destituée par le Sénat. Deux tiers des voix, soit 55 sur 81 ont voté pour son départ à l'issue de son procès pour «crime de responsabilité». Hier dans la matinée, la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, a passé ses dernières heures au pouvoir et été suspendue de ses fonctions par le Sénat. Plus tard dans la journée, le vice-président Michel Temer lui a succédé, ce qu'elle accuse de «coup d'Etat» institutionnel. Sur 81 sénateurs, 55 ont voté l'ouverture formelle d'un procès en destitution de l'impopulaire dirigeante de gauche, accusée d'avoir maquillé des comptes publics, au terme d'une session historique entamée mercredi matin. Seuls 22 sénateurs s'y sont opposés. En pleine tourmente, le géant émergent d'Amérique latine pourrait tourner ainsi la page de 13 ans de gouvernements du Parti des travailleurs (PT), ouverte en 2003 par l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva, qui a présidé au boom socioéconomique brésilien des années 2000. Dilma Rousseff, 68 ans, est par conséquent automatiquement écartée de la Présidence pendant un délai maximum de 180 jours, dans l'attente du jugement final des sénateurs, où un vote des deux tiers, déjà dépassé hier, sera requis pour prononcer la destitution. L'opposition de droite accuse la Présidente d'avoir dissimulé l'ampleur des déficits publics pour se faire réélire en 2014 ainsi qu'en 2015, via des tours de passe-passe budgétaires. Elle lui reproche aussi d'avoir décrété des dizaines de milliards de dépenses sans l'aval du Parlement. En réponse, Rousseff affirme que tous ses prédécesseurs ont eu recours à cette pratique sans avoir jamais été inquiétés. Elle se dit victime d'un «coup d'Etat» institutionnel ourdi par Michel Temer, qui a précipité sa chute en poussant, fin mars, sa formation, le PMDB, à claquer la porte de sa majorité. La sénatrice Gleisi Hoffmann du Parti des travailleurs, ancienne chef de cabinet de Dilma Rousseff, a dénoncé «une sanction disproportionnée». «C'est comme si on voulait sanctionner par la peine de mort une infraction au code de la route», a-t-elle déclaré. Aecio Neves, un des leaders de l'opposition à Mme Rousseff et candidat malheureux au second tour de la présidentielle en 2014, a estimé que le vote des deux tiers déjà atteint représente «un signal positif pour le nouveau gouvernement, qui prend ses fonctions avec la perspective qu'il ne sera pas seulement un gouvernement temporaire mais qu'il devra conclure le mandat de la Présidente». «L'impeachment est un remède amer mais nécessaire», a jugé pour sa part le sénateur José Serra. L'ex- président destitué, Fernando Collor de Mello, a quant à lui voté pour la destitution de la Présidente. «L'histoire m'a réservé ce moment», a déclaré le sénateur qui avait enduré une procédure de destitution au début des années 1990. Cocktail explosif Ce dernier avait démissionné de ses fonctions de président de la République brésilienne juste avant que le Sénat ne prononce sa destitution en 1992 pour des faits de corruption et le prive de droits politiques pendant huit ans. L'ex-présidente Rousseff a été remplacée dans la journée par son vice-président Michel Temer, 75 ans, en attendant le jugement final des sénateurs d'ici un maximum de six mois. Ex-allié, il est devenu un adversaire résolu de la Présidente fin mars, lorsque son parti, la puissante formation centriste du PMDB, avait quitté la coalition gouvernementale dominée par le Parti des travailleurs (PT, gauche), au pouvoir sous les présidences de Luiz Inacio Lula da Silva, puis de Dilma Rousseff. Le futur président en exercice devait s'adresser hier à la nation depuis la Présidence, accompagné de son futur ministre des Finances, Henrique Mereilles, selon le site d'information UOL. Homme d'appareil sans charisme, Michel Temer est tout aussi impopulaire que Dilma Rousseff. Une majorité de Brésiliens souhaitent son départ et des élections anticipées, non prévues par la Constitution. Le vote final des sénateurs pourrait intervenir en septembre, après les Jeux olympiques de Rio de Janeiro (5-21 août) et les élections municipales d'octobre. De l'avis des analystes, les chances de Mme Rousseff d'échapper à la destitution sont désormais très minces. Le tout aussi impopulaire Michel Temer, crédité à peine 1% à 2% d'intentions de vote en cas d'élection, va donc probablement diriger le Brésil jusqu'à la fin du mandat en 2018. Il va hériter du cocktail explosif qui a conduit droit dans le mur Mme Rousseff : la pire récession depuis les années 1930 et l'énorme scandale de corruption Petrobras, aux développements judiciaires imprévisibles, qui éclabousse son propre parti au plus haut niveau. Il pourra compter dans un premier temps sur le soutien des milieux d'affaires qui espèrent un choc de confiance, et sur celui, prudent, des partis de droite qui ont œuvré à la destitution de Dilma Rousseff. Michel Temer prépare un paquet de mesures libérales et par nature impopulaires qui pourraient jeter les syndicats dans la rue : ajustement budgétaire sévère, réforme du système déficitaire des retraites et de la législation du travail. Il «va hériter en grande partie de l'insatisfaction des Brésiliens contre la politique traditionnelle qu'il incarne», souligne Thiago Bottino, analyste à la Fondation Getulio Vargas.