La librairie Fateh Kitab, de la cité les Bananiers à Alger, a accueilli, dimanche soir, une remarquable rencontre littéraire à l'occasion de la sortie aux éditions Frantz Fanon de l'essai Kamel Daoud : Cologne, contre enquête signé par l'universitaire Ahmed Bensaâda. Cette rencontre, qui a drainé un public nombreux, a été modérée par le philosophe, chroniqueur et journaliste Mohamed Bouhamidi. Ainsi après la sortie de Arabesques : enquête sur le rôle des Etats-Unis dans les révoltes arabes, Ahmed Bensaâda, qui, rappelons-le, est détenteur d'un doctorat en physique de l'université de Montréal, revient sur la scène littéraire avec un essai de 133 pages consacré à certains écrits du journaliste algérien Kamel Daoud. Ahmed Bensaâda explique que les déclencheurs de cet essai ont été les articles publiés sur Le Monde et le New York Time par Kamel Daoud, sur le phénomène des viols à Cologne. Pour le conférencier, «c'était choquant de voir quelqu'un qui a vécu dans une culture arabo-musulmane et qui a été lui-même un imam islamiste trouver une explication simpliste en disant : ‘‘L'équation musulman égal violeur''». Ahmed Bensaâda est convaincu qu'on ne peut pas s'improviser sociologue, ethnologue ou autre… Quand on est journaliste, il faut écrire ses propos avec un raisonnement scientifique valable. L'orateur ne mâche pas ses mots pour affirmer qu'il a remarqué chez Kamel Daoud une constance dans son discours de toujours incriminer l'arabo-musulman. Preuve en est, dit-il, Kamel Daoud parle très mal des musulmans dans l'affaire Cologne ou encore quand il s'agit des bombardements sur Ghaza. L'universitaire a décortiqué tous les écrits antérieurs de Kamel Daoud. Toujours selon Ahmed Bensaâda, quand Kamel Daoud parle de la langue arabe, il affirme que c'est une langue de la colonisation, alors qu'il ne parle pas des Français qui nous ont colonisés. «Il a un propos toujours dénigrant de sa communauté. Il dit que la langue arabe est une langue de colonisation. On peut parler de cet aspect de la colonisation, qui est venu dans un pays arabe qui était initialement berbère, mais il ne parle jamais de la colonisation française. Au contraire, la colonisation française, il va lui donner ses lettres de noblesse», argumente-t-il. Autre exemple cité, celui de la «fetwa religieuse» émise en 2014 par Abdelfattah Hamadache. Le conférencier éclaire l'assistance en soutenant que la plupart des gens qui ont signé la pétition ont le profil de politiciens français et de lobbies médiatiques sionistes. «On voit finalement que cette fetwa qui est tombée du ciel a servi cette idéologie de diabolisation. Pire que cela, c'est qu'il y a eu cette fetwa religieuse, mais le jour où il a écrit ces deux articles, il y a eu un collectif d'universitaires qui lui ont écrit en lui disant que ces stéréotypes étaient vrais. Ces derniers ont soutenu que c'était une fetwa laïque». Ahmed Bensaâda se pose la question suivante : «Que fait Daoud à longueur de ses chroniques ?» Il estime qu'il fait des fetwas journalistiques. Ahmed Bensaâda se pose une autre interrogation. Est-ce qu'un écrivain peut dénier accéder à ce statut-là en étant complètement déconnecté de son terroir ? Pour lui, c'est quasiment impossible. Il rappelle que Amine Malouf, dans son discours à l'Académie française, dit qu'il n'est pas venu de rien. Il vient avec un bagage. Il dit que la langue arabe, c'est elle qui l'a porté alors qu'il vit en France. «Un écrivain doit déceler, doit critiquer, mais ne doit jamais perdre cette tendresse envers son peuple», précise le physicien. Ahmed Bensaâda avoue qu'il aurait pu écrire un livre sur Boualem Sansal ou autre. Ce n'est pas Kamel Daoud qu'il dénonce, mais ce discours d'écrivain néo-colonisé. Selon lui, «ce sont des écrivains décolonisés qui vont se régénérer. Ces écrivains servent à un certain discours néo-colonial. Ce discours qu'on a de haute voltige, c'est grâce à notre indépendance. Il ne faut jamais l'oublier cela. Je me demande si Kamel Daoud est conscient de la gravité de l'entreprise qu'il est en train de mener. Le problème de Kamel Daoud est passé d'un extrême à un autre, sachant que les extrêmes se rejoignent». En guise de conclusion, Ahmed Bensaâda affirme que la jalousie n'intervient pas dans son cas. «Je ne peux pas être jaloux de Kamel Daoud. J'ai un doctorat, je suis fier de moi. Je n'ai pas besoin d'autre chose. J'ai choisi une voie qui ne m'amènera jamais au Goncourt. Je n'ai pas peur de mes mots, mais la voie que j'ai choisie ne mène pas à ce genre de prix. Je ne peux pas être jaloux de Daoud mais je suis jaloux, par contre de Amine Malouf, de Tolstoi, de Naguib Mafdouh et d' Albert Einstein, Heinstchai. Ce sont des idoles pour moi.»