Au-delà d'un acte de présence bien soigné, faut-il le dire, l'entrée effective sur la scène politique de Machroû Tounes (Projet de Tunisie) est perçue comme une continuité du projet initial de Nidaa Tounes, à savoir une alternative à Ennahdha. «Ce n'est pas par hasard que notre parti a choisi pour nom Machroû Tounes (le Projet de Tunisie). Nous cherchons à concrétiser les conceptions modernistes que Nidaa Tounes a annoncées au moment de sa création et n'a pas œuvré pour les mener à bien. Notre projet vise à réaliser cette tâche, nécessaire pour préserver les acquis modernistes de la Tunisie et lui éviter de sombrer dans un projet similaire à celui de la Turquie», souligne Mustapha Ben Ahmed, l'un des dirigeants fondateurs de Machroû Tounes. Pour ce membre de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), le dernier congrès d'Ennahdha, marqué par la séparation entre les actions politique, théologique ou culturelle, a concrétisé le désir des islamistes de se spécialiser pour mieux dominer le pays. Lequel congrès, poursuit Ben Ahmed, a lancé une énième alerte aux modernistes. «Il fallait donc concrétiser sur le terrain ce projet Machroû Tounes qui s'oppose à ce travail de sape des islamistes par des œuvres et des projets renforçant les acquis modernistes», explique le député. Toutefois, même si Machroû Tounes dispose du troisième bloc parlementaire avec 25 députés, il est utile de rappeler que lesdits élu ont accédé au Parlement sur les listes de Nidaa Tounes. La question est de savoir si le nouveau parti pourrait obtenir un tel audimat. Espace encombré Il y a, en Tunisie, 17 partis parlementaires, si l'on considère que le Front populaire est un seul parti politique. Il est vrai toutefois qu'Ennahdha et Nidaa Tounes réunissent à eux seuls les deux tiers du Parlement, avec un bloc de 136 députés sur les 217 constituant l'ARP. Machroû Tounes essaie de rallier d'autres députés, en plus des 25 du bloc Al Horra, pour constituer un large front démocratique pouvant rivaliser avec Ennahdha et Nidaa Tounes. Mais tout l'espace est pratiquement occupé. Rares sont les éléments libres dans leurs mouvements et disposés à adhérer à cette option. En mettant de côté les députés appartenant à Ennahdha, Nidaa Tounes, l'UPL, le Front populaire, Afek Tounes, le CPR, le Courant démocratique, le Mouvement du peuple et le Courant de l'amour, il ne reste plus que six députés appartenant à des petits partis et deux députés indépendants. Donc il n'y a pas d'assise pour ce large front démocratique, à moins de rallier Nidaa Tounes, ce qui est, pour le moment, improbable. La politique du président Béji Caïd Essebsi étant de s'allier avec Ennahdha. Aller vers un front démocratique Toutefois, comme le dit le dirigeant de Machroû Tounes, Mustapha Ben Ahmed, «Béji Caïd Essebsi et Nidaa Tounes ont réussi lors des élections de 2014 sur la base d'un programme électoral opposé à celui d'Ennahdha». «Il y a donc une large frange du public, attachée au projet moderniste et nous allons la cibler», conclut-il. Pour le politologue Slaheddine Jourchi, la question est beaucoup plus simple : «Mohsen Marzouk cible la base de Nidaa Tounes, ce parti qui ne s'est pas encore structuré après quatre années d'existence et qui n'a rien fait pour préparer la relève de l'actuelle direction du parti, édifiée autour de Béji Caïd Essebsi.» Le politologue estime que ce n'est pas uniquement «un acte de présence» que la tenue de ce congrès à neuf mois des élections municipales. «Avec son slogan de Front démocratique large, Marzouk prépare le terrain pour des listes démocratiques unies lors des prochaines municipales et projette son parti comme cheville ouvrière à ces listes, surtout qu'il y a une possibilité que ces listes intègrent même des candidats de Nidaa Tounes, surtout que les militants de ce parti ne veulent pas s'allier à Ennahdha et ne se sont pas encore préparés pour faire cavalier seul», ajoute Jourchi. Selon cette approche, Machroû Tounes de Mohsen Marzouk veut se positionner comme alternative à Ennahdha en exploitant la faiblesse structurelle de Nidaa Tounes.