Un groupe de 21 députés (sur 86) a déposé, avant-hier, une nouvelle demande de démission du bloc parlementaire de Nidaa Tounes. Ennahdha risque de devenir le premier parti à l'ARP. Il a suffi que la question du congrès constitutif soit à l'ordre du jour de Nidaa Tounes pour que toutes les divergences refassent surface au niveau du parti, fondé en 2012 par le président Béji Caïd Essebsi, et devenu depuis 2014 la première force politique en Tunisie. Pour la deuxième fois en un mois, un groupe de députés du parti dépose des requêtes pour quitter le bloc parlementaire du parti, fort de 86 membres sur les 217 que compte l'Assemblée des représentants du peuple (ARP). Le 21 novembre dernier, ils étaient 32 à déposer des démissions. Avant-hier, ils étaient 21. Le nombre est suffisamment élevé pour que Nidaa Tounes risque de ne plus être le 1er parti à l'ARP, car Ennahdha compte 69 députés. Au cas où les démissions sont validées au bout de cinq jours, Nidaa Tounes n'aura plus que 65 députés, voire moins, car d'autres représentants du peuple (du groupe des 32) peuvent rejoindre le mouvement. Les députés démissionnaires conditionnent le retour sur leur démission par des garanties de démocratie dans la gestion du parti et de ses congrès. La Constitution en Tunisie prévoit que le 1er parti au Parlement désigne le chef du gouvernement. Donc, l'enjeu de cette démission est de taille et risque de chambarder la vie politique en Tunisie, voire même dans la région. Jusque-là, le chef du gouvernement, Habib Essid, a été désigné par Nidaa Tounes. Mais son équipe est soutenue par Ennahdha (69 députés), l'Union patriotique libre (15 députés) et Afek Tounes (8 députés), en plus de Nidaa Tounes (86 députés), soit un total de 178 députés sur les 217 de l'ARP. La suprématie de Nidaa Tounes a permis à la diplomatie tunisienne d'adopter une attitude ayant plus du recul par rapport à l'axe (Doha-Ankara), très avantagé lors de la gouvernance de la troïka et la présidence de Marzouki, sous la pression des islamistes d'Ennahdha. Toutefois, les observateurs notent que cette distance commence à s'amincir avec l'adhésion de la Tunisie à la coalition islamique antiterroriste, prônée par l'Arabie Saoudite. «Riyad veut plutôt contrer l'axe Téhéran-Moscou-Damas que lutter contre le terrorisme», selon Samir Taïeb, secrétaire général du parti Al Massar, qui ajoute que «la Tunisie a intérêt à une éradication complète du terrorisme dans la mesure où des milliers de Tunisiens combattent sur les fronts en Irak, en Syrie et en Libye». «Toute complaisance avec le terrorisme risque de coûter cher à la Tunisie et à la région», conclut-il. La même réserve a été observée par le politologue Slaheddine Jourchi en rapport avec la crise en Libye. «La tentative de court-circuiter l'émissaire de l'ONU et l'accord de Sekhirat, opérée il y a trois semaines en Tunisie, a été perpétrée par des lobbyistes et des hommes d'affaires proches d'Ennahdha et du clan de Hafedh Caïd Essebsi, au sein de Nidaa Tounes, sur les consignes d'Ankara et de Doha», précise Jourchi. «Ces deux capitales ont de puissants relais d'influence en Tunisie et dans la région», insiste-t-il. Différends Il n'y a pas que les enjeux stratégiques dans cette crise du premier parti en Tunisie. Il y a également la question de la démocratie. Deux thèses s'opposent, en effet, au sein de la direction de Nidaa Tounes sur la question du congrès. Une première, dirigée par le secrétaire général, Mohsen Marzouk, plaide pour un congrès électoral où les congressistes sont désignés suite à des élections au niveau des structures de base du parti. Les orientations générales du parti et les motions du congrès seront, elles-mêmes, débattues par les structures avant d'aller aux commissions du congrès. La deuxième thèse, défendue par Ridha Belhaj, membre fondateur du parti et directeur du cabinet présidentiel, ainsi que Hafedh Caïd Essebsi, vice-président du parti chargé des structures, prône un congrès constitutif consensuel, dans les plus brefs délais, avec les structures existantes. Une commission d'arbitrage, désignée par le président-fondateur, Béji Caïd Essebsi, a proposé comme solution un congrès deux-en-un, avec un congrès constitutif, le 10 janvier 2016, et un congrès électoral, les 30 et 31 juillet 2016. Cette proposition confirme dans leurs postes les structures régionales et locales existantes désignées par le vice-président chargé des structures, Hafedh Caïed Essebsi. En plus, elle élimine de l'organigramme du parti la structure du bureau politique, élu le 22 mars dernier et devant remplacer la commission constitutive. Aujourd'hui, cette commission d'arbitrage est en train de discuter avec les députés démissionnaires les conditions de leur réinsertion au sein du bloc parlementaire du parti.