Le pays ne manque de rien. Les fastidieux communiqués officiels, rendant compte des auditions des ministres par le président de la République, renforcent ce sentiment. Si tout « va bien » pourquoi recourir à cette méthode d'auditions qui, théoriquement, devrait situer les failles, les carences et les manquements dans la gestion des différents secteurs ? Depuis que Abdelaziz Bouteflika reçoit les ministres, dans un parfait huis clos que les communiqués n'arrivent pas à faire oublier, une pluie de chiffres tombe sur la terre algérienne pour essayer de convaincre la population de « la réussite » de l'actuelle démarche de gestion du pays. Des chiffres tellement denses qu'on ne retient presque aucun. Du coup, on ne comprend pas pourquoi des ministres sont « auditionnés » alors que les secteurs sont « bien gérés ». S'agit-il d'un bilan déguisé du mi-mandat de Abdelaziz Bouteflika ? On se rappelle que Ahmed Ouyahia a été forcé de quitter la direction du gouvernement en 2005 sans présenter le bilan de son action devant le Parlement. L'APN, censée représenter le peuple, n'a élevé aucune protestation devant cette entorse à la Constitution. Dans les comptes rendus des dernières auditions, l'Algérie -c'est assez curieux- est mise entre la parenthèse 1999-2009 (période des deux mandats de l'actuel locataire du palais d'El Mouradia). Existait-il un pays avant 1999 ? Et y a-t-il une vie après 2009 ? La marginalisation évidente du chef du gouvernement provoque un certain malaise qui, fondamentalement, renvoie aussi au respect de la Constitution en vigueur. Si le chef du gouvernement ne peut pas contrôler l'action des ministres, quel est son rôle ? Si Abdelaziz Belkhadem a été défaillant, comme semble le suggérer la nouvelle méthode de Bouteflika, pourquoi est-il maintenu en poste ? Sauf qu'on a tendance à oublier que le pays a, depuis 1999, « consommé » cinq chefs du gouvernement et des dizaines de ministres. Certains de ces ministres « émigrent » d'un département à un autre sans que l'on sache le degré de leur compétence à maîtriser tous les dossiers. Autre énigme : des observateurs s'interrogent sur les moyens que possède le président de la République à vérifier la masse de données communiquées par des ministres habitués à s'accorder, parfois sans aucune décence, des satisfecit et des bons points. A ce jour, et depuis 1999, aucun ministre n'a été sanctionné publiquement pour mauvaise gestion. Bouteflika a certes malmené devant les caméras des membres du gouvernement, mais sans suite. La politique-spectacle a cette tare de décrédibiliser toute action, même parée de bonnes intentions. Il est clair que le chef de l'Etat a le droit de surveiller le travail de son gouvernement. Le problème est que l'Exécutif ne peut pas se suffire de s'autocontrôler. En théorie, la tâche de contrôle est dévolue à l'APN. Seulement voilà, la chambre basse du Parlement, en fin d'investiture, plonge dans un profond sommeil qui, à lui seul, est un scandale. La manière légère et sans relief avec laquelle l'APN a mené le débat sur la loi des finances 2007 témoigne de la faiblesse manifeste d'analyse d'une bonne partie des députés et de leur incapacité à être, tout simplement, « courageux ». Pire, le président de l'APN s'est absenté durant le débat sur la loi de finances, l'une des mieux dotée depuis l'indépendance de l'Algérie grâce aux entrées pétrolières et gazières, préférant un déplacement à l'étranger. Au fait, qui fera la comptabilité des frais des voyages fréquents du président de l'APN ? Combien coûte l'APN à la communauté nationale ? La contrepartie du salaire des députés profite-t-elle aux Algériens ? Bouteflika, à première vue, a décidé d'ignorer le Parlement. Il agit comme si ces institutions n'ont jamais existé. Il applique, à sa manière et pleinement, le système présidentiel. Enfin, il est troublant de remarquer que les auditions du président, qui ne sont pas nécessairement preuve d'une bonne gouvernance, n'ont pas permis de clarifier les mécanismes de surveillance des sommes colossales dégagées pour les centaines de projets. Mourad Medelci, ministre des Finances, n'a pas tenu sa promesse, exprimée l'année dernière, d'élaborer une loi de règlement budgétaire qui contrôle, en fin d'exercice, les dépenses autorisées par la loi de finances. Là aussi, c'est une obligation constitutionnelle que les autorités n'ont pas respectée. Au-delà des aspects politiques et institutionnels, l'Algérien, qui a appris à se méfier des statistiques officielles, constate, dans son vécu quotidien, que les choses demeurent en l'état, sans grande évolution. Des exemples ? Coupures fréquentes du courant électrique, mauvaise distribution de l'eau, crise continue du logement, manque de perspectives pour les jeunes, hôpitaux défaillants, bureaucratie collante dans les administrations, saleté générale dans les villes, gaspillage et mauvaise tenue des APC, insécurité, dérégulation des marchés de consommation, corruption et passe-droit...