Le guide libyen, le colonel Mouammar Kadhafi, peut se délecter d'avoir réussi un sacré coup contre la liberté de la presse en Algérie, lui qui s'est déjà illustré par ses extravagances et ses sorties spectaculaires, qui ont fait les choux gras des médias internationaux. Ce militaire d'apparat et de parade, qui a obtenu gain de cause mardi dernier devant le tribunal de Hussein Dey à Alger lors d'un procès expéditif intenté contre le journal arabophone Ech-Chourouk, ne s'attendait sûrement pas à une telle victoire, d'autant plus qu'il a emprunté la voie « ordinaire » en s'adressant directement, comme tout bon citoyen, à la justice algérienne afin qu'elle répare une « injustice » dont il aurait été victime. S'estimant lésé et touché dans « son amour propre » par deux articles publiés dans le journal incriminé, le guide libyen cherchait vraisemblablement un moyen de se faire pardonner auprès des autorités algériennes ses tentatives de déstabilisation du pays, traduites dans son projet du Grand-Sahara, annoncé en grande pompe en avril 2006. Ayant déjà excellé dans sa démarche tyrannique et répressive dans son propre pays, où il a presque par magie étouffé la moindre voix discordante, l'homme, qui fait les délices des journaux occidentaux depuis déjà plus de 20 ans, n'a pas manqué d'inspiration le jour du procès en demandant par le biais de ses avocats algériens la suspension du quotidien Ech-Chourouk, non sans réclamer 5 milliards de centimes comme dommages et intérêts à des associations de bienfaisance algériennes. La justice algérienne a ainsi presque exaucé son vœu en condamnant le directeur du journal en question et une journaliste à six mois de prison et en suspendant la publication pour deux mois. Un tel jugement, toutefois souverain, n'est nullement étonnant, lorsqu'on sait la facilité déconcertante avec laquelle les autorités algériennes « se plient » à ses frasques. Loin des contours du procès, somme toute inédit dans l'histoire de la presse algérienne, il est utile de rappeler quelques déclarations du colonel Kadhafi à propos de son projet du Grand-Sahara, qui a valu à Ech-Chourouk un tel procès. Ainsi, le dirigeant libyen a déclaré en avril 2006 à Tombouctou (Mali) que « les tribus du Sahara, du Croissant fertile au fleuve du Sénégal, ne doivent pas prendre les armes contre elles-mêmes ». « Nous sommes une même famille et nous devons protéger le Sahara contre les ennemis. Nous allons instituer le pacte de Tombouctou que nous devons tous signer. Il y a avec nous maintenant de rois, des sultans, des cheikhs, des chefs des tribus du Grand-Sahara, des personnalités islamiques, des organisations et associations islamiques du monde entier et, avec nous aussi, Louis Farrakhan, leader de la nation de l'Islam » , a-t-il appelé. Cette idée du « Grand-Sahara » vient ainsi au secours d'un autre projet cher au dirigeant libyen qui a échoué, à savoir les fameux « Etats-Unis d'Afrique ». Les extravagances de El Kadhafi ne se terminent pas là. Deux ans après sa reddition sans condition à l'ordre américain, le colonel, égal à lui-même au sommet arabe d'Alger, le 22 mars 2005, traitait Palestiniens et Israéliens d'« idiots » pour n'avoir pas édifié une fédération « Isratine », néologisme forgé par la contraction d'Israël et de Palestine, gommant d'un trait 50 ans de combat du peuple palestinien pour prévenir la négation de son identité nationale. Dans une autre rencontre internationale, qui remonte aux années 1980, il a qualifié, au grand étonnement de l'assistance, le mouvement chiite Amal, qui signifie en arabe « l'espoir », de « désespoir ». Comme il a considéré que la « Maison- Blanche » était devenue « La Maison Noire », le Royaume-Uni, « le porte-avions immobile des Américains ».