Ifrikya Spirit, un jeune groupe musical d'Alger, est né en 2009 dans la fièvre du 2e Festival culturel panafricain (Panaf'). Le groupe s'est agrandi depuis. Il s'inscrit dans une démarche artistique contemporaine et se pose déjà comme un nom qui compte de la nouvelle scène algérienne. Au 14e Festival international du jazz de Constantine (Dimajazz), clôturé hier, le groupe Ifrikya Spirit était attendu par le public. Les présents étaient curieux de savoir comment cette jeune formation d'Alger, née après le 2e Festival culturel panfricain (Panfa'), en 2009, a évolué. Mardi soir, à la salle Ahmed Bey, les musiciens, fortement attachés aux racines africaines, ont dépassé rapidement le trac de la grande scène pour lancer la machine à vive allure. Après un «Salam alikoum» en mode diwane, une ou deux notes sur gumbri et la fête commençait ! Ifrikya Spirit ? Chakib Bouzidi, au chant et au gumbri, Réda Mourah, au piano, Samy Guebouba à la basse, Rafik Kettani au soussane, à la percussion et au chant, Nazim Bakour à la guitare, Hassan Khoualef à la batterie et Meziane Amiche au chant et au kerkabou. Le groupe a dès le départ fait le choix de faire de la musique contemporaine à partir de l'héritage algérien diwane mais en restant à l'écoute du monde. «Si nous voulons apprendre l'harmonisation, nous écoutons la musique classique. Pour les expériences rythmiques, nos préférences vont à Joe Zawinul et à Chick Coréa. Zawinul a travaillé avec un batteur algérien, Karim Ziad. Nous écoutons Amar Zahi, gnawa, tout», a relevé Réda Mourah, l'arrangeur du groupe. Le bouquet offert au public du Dimajazz était riche en parfums : de la salsa, du jazz, de la rumba, du rock... Des bradj du diwan sont revisités, réarrangés pour prendre les couleurs de l'époque. Chakib Bouzidi, élève du regretté Mâalem Benaissa, sait ce qu'il fait. «Au début, nous avons commencé par de la musique traditionnelle, fait des arrangements, intégré de nouvelles sonorités. C'est à ce moment-là que nous avons fait appel à Réda Mourrah de façon à ne pas dénaturaliser les instruments traditionnels que nous utilisons», a expliqué Chakib Bouzidi. Les musiciens d'Ifrikya Spirit ont appris à jouer sur des instruments africains, longtemps ignorés par les artistes algériens pour des raisons inexplicables. Ils maîtrisent le balafon, le n'goni, le kamélé n'goni, le balafon, de la calebasse, le djembé, le tama (dumdum)... «Nous avons appris lors d'une résidence d'artistes au Panaf. Nous n'avons pas senti de différence avec nos propres instruments. C'est le même rythme, le même tempo. Nous avons joué ensemble avec d'autres artistes, c'était comme si nous nous connaissions depuis toujours», a relevé Chakib Bouzidi. Au concert du Dimajazz, le dialogue avec des instruments modernes, comme la basse ou la guitare, était évolutif, changeant mais toujours dynamique. Les compositions de Chakib Bouzidi et Rafik Kettani ne s'éloignent pas de l'esprit fusion et du langage d'aujourd'hui. L'expression rythmique appuie comme il le faut les harmonies. Tournée aux Etats-Unis Les chants de Meziane Amiche et de Chakib Bouzidi donnent à l'ensemble une belle cohérence. Ifrikya Spirit revendique la world music sans crainte. «Nous n'avons pas besoin d'efforts pour rester soi- même. Pas besoin également d'être obligé d'affirmer une certaine identité. Ce n'est pas compliqué. Nous sommes Africains, Arabes, Amazighs, Méditerranéens. Ce mélange est beau tel qu'il est. Notre identité est traduite dans notre musique. Nous restons Algériens en évoquant l'Amérique du Sud tant dans le texte que dans le son ou l'approche», a souligné Samy Guebouba. Ifrikya Spirit vient de rentrer d'une tournée d'un mois aux Etats-Unis à l'initiative du programme américain Center Stage. Le groupe a été choisi après auditions faites en Algérie par des académiciens et des tourneurs américains. Une quinzaine de concerts ont été animés pendant un mois à Burlington, Washington, New York, Minneapolis, Gainesville, Cutler Bay, Yakima... «Nous avons animé des masters classe, des workshops. Nous avons été émerveillés par la manière avec laquelle les Américains se sont accrochés à nous. Ils ont même chanté avec nous en notre langue, dansé, marqué une certaine curiosité par rapport à nos instruments. Certains nous ont même dit qu'ils visiteront l'Algérie l'été prochain ! La réceptivité du public américain nous a étonnés. Nous sommes donc revenus avec l'envie de faire pleines de choses», a souligné Chakib Bouzidi. Le groupe, selon Samy Guebouba, a beaucoup appris du voyage américain. «Nous sommes revenus avec beaucoup de motivation. Nous nous sommes présentés aux Américains et appris des choses. Nous avons discuté avec les gens qui ont voulu savoir plus de choses sur l'Algérie. Nous avons essayé de les submerger autant que possible par notre culture. C'est cela l'échange culturel», a-t-il dit. «Nous avons signé des autographes. Les Américains ont même dessiné le drapeau de l'Algérie. C'est une belle expérience», a repris Réda Mourah. En 2011, le groupe a eu beaucoup de difficultés à produire le premier album. «C'était un auto-financement. Cela nous a pris beaucoup de temps, surtout que nous avons eu des problèmes dans l'enregistrement des instruments traditionnels qui sont faibles par rapport au piano», a noté Chakib Bouzidi. «Dans le prochain album, les textes vont évoquer la vie de tous les jours, de l'amour, de la paix, de beaucoup de choses. Itihad, par exemple, évoque l'Union africaine. Nous faisons des recherches. Chakib et moi écrivons des textes mais je pense que nous avons besoin d'un parolier», a souligné Meziane Amiche. Le groupe s'est dit fier d'être invité par l'équipe de Zoheir Bouzid au Dimajazz 2016. «Nous sommes totalement solidaires avec les organisateurs ce festival. C'est une obligation en tant qu'artiste. Pour moi, Dimajazz est le meilleur festival du pays. C'est une référence. Nous avons rencontré des musiciens étrangers, ils connaissent tous ce festival et veulent bien y participer», a déclaré Chakib Bouzidi. «Pour travailler notre musique, nous sommes obligés de nous aligner à la science actuelle. Le Dimajazz permet de découvrir la musique internationale et les musiciens internationaux découvrent l'Algérie. Il y a donc un partage. Les gens qui menacent le Dimajazz veulent nuire à la culture algérienne», a repris Réda Mourah.