Le tragique feuilleton des détenus de Ghardaïa se poursuit en s'aggravant. La chambre d'accusation a décidé, mardi passé, de renvoyer 44 prisonniers, dont le docteur Kamel-Eddine Fekhar, devant le tribunal criminel, après 20 mois de détention provisoire. Les avocats de la défense vont de leur côté introduire un pourvoi en cassation. Ils dénoncent une procédure judiciaire menée en «violation de la loi», et surtout pestent contre une instruction «totalement à charge». Lors d'une conférence de presse donnée hier à Alger (au siège du MDS), le collectif d'avocats part en guerre contre une justice aux ordres où les droits des prévenus sont foulés aux pieds. Maître Salah Debouz pointe du doigt le fait que les arrestations massives du 9 juillet 2015, conséquence des événements de Guerrara, «n'ont pas été opérées suite à l'ouverture d'une information judiciaire». «Il y a eu un abus d'autorité», relève-t-il. L'avocat énumère ensuite les différentes atteintes et violation des droits des détenus depuis leur arrestation. De son côté, Me Noureddine Ahmine fustige «la nullité du document» sur la base duquel les citoyens de la vallée du M'zab ont été arrêtés. «Il a été établi en violation de la loi et les détenus sont victimes d'arrestations arbitraires et de punition collective», accuse-t-il. Arrêtés loin du théâtre des événements, les détenus sont poursuivis pour des faits graves, allant d'«atteinte à la sûreté de l'Etat» à l'«atteinte à l'unité nationale». En tout, 18 chefs d'accusation pèsent sur des détenus dont certains sont très âgés. Pour protester contre leur détention, certains d'entre eux ont entamé une grève de la faim. Et en solidarité, des dizaines de femmes observent un jeûne et menacent elles aussi de faire une grève de la faim si leurs proches ne sont pas libérés. Présente à la conférence de presse, la sociologue Fatma Oussedik, connue pour son engagement intellectuel, a fait part de ses craintes de voir se jouer dans la vallée du M'zab quelque chose d'encore plus grave pour le pays. Elle met en garde contre des velléités de pousser le pays à l'éclatement. Auteur du célèbre ouvrage Les Itifakat sur le M'zab, la sociologue insiste sur le fait que les femmes se mettent en mouvement et s'impliquent dans la bataille qui se mène à Ghardaïa. Soumise à rude épreuve depuis au moins 2013, la vallée du M'zab est entraînée dans une logique de violence. Elle est devenue un laboratoire de toutes sortes de manipulation impliquant même des acteurs politiques centraux, la mafia foncière, le rôle trouble des sponsors du salafisme. Une poudrière approchée par les autorités politiques du pays sous l'angle sécuritaire par ailleurs inefficace. Alors que ce qui se joue au M'zab pose de manière brutale le rapport désuet de l'Etat aux problématiques citoyennes. Hacen O.