L'absence de l'Algérie à la table des ministres de l'Intérieur d'une partie du Maghreb, conviés dans la capitale italienne aux côtés de leurs homologues de France, Allemagne, Autriche, Slovénie, Suisse, Malte et Italie, signifie un camouflet pour le gouvernement de Paolo Gentiloni. Car seuls deux pays de la rive sud, Tunisie et Libye, ont signé l'accord de lutte contre l'immigration illégale. Un déplacement à Rome presque inutile pour les ministres de ces deux pays, vu que l'Italie avait à peine paraphé deux accords similaires bilatéraux avec Tripoli et Tunis ces derniers mois. La délégation libyenne, représentée par le Premier ministre Fayez El Serraj, qui s'est déplacé en personne pour demander 800 millions d'euros à l'Europe, renouvelle son engagement à jouer le gendarme de la rive sud. En signant l'accord, Tripoli accepte l'intervention militaire européenne sur son littoral et dans son désert contre la fourniture d'équipements lourds (hélicoptères, bateaux, vedettes, ambulances, jeeps…) et même d'articles de moindre importance comme les téléphones satellitaires, des bouteilles d'oxygène, des jumelles… et la formation de sa police et de ses garde-côtes par des experts italiens. Le commissaire européen à l'immigration et aux affaires internes, Dimistris Avramopoulos, présent à la réunion, a engagé l'Union européenne dans cette stratégie avec un pactole de 200 millions d'euros. Les Européens devront trouver les 600 millions restants, qui seront probablement détournés du fonds pour la coopération avec l'Afrique. Il faut dire qu'à cette occasion, l'attitude du gouvernement italien a été maladroite et très mal perçue par son partenaire algérien, qui avait demandé des précisions sur la nature du document soumis (accord, déclaration d'intention…) sans obtenir de réponse. Des sources bien informées nous ont confié aussi que le texte de l'accord n'a été soumis que cinq jours avant la tenue du sommet aux responsables algériens, qui ont tout de suite émis des réserves sur certains points. Devant le refus italien de modifier tous les chapitres source de discorde (seulement une partie a été reformulée), le gouvernement algérien a décidé de ne dépêcher aucun représentant à la rencontre. Ni le ministre de l'Intérieur, ni un secrétaire d'Etat, ni même un simple directeur de département du ministère. L'ambassadeur d'Algérie à Rome, non plus, n'a pas pris part à la réunion. Une chaise vide qui se veut un message clair aux ministres des pays européens réunis : «L'Algérie n'engagera pas son gouvernement dans un ‘‘accord'' imposé par la rive nord et dont les clauses l'obligeraient à céder à des tiers une once de son pouvoir décisionnel souverain.» Le jeu, effectivement, n'en valait pas la chandelle, surtout que les autorités algériennes font depuis des années un énorme effort pour bloquer les flux de l'immigration irrégulière vers le vieux continent, sans rien demander en contrepartie à l'Europe et que le nombre des Algériens qui débarquent sans visa sur les côtes méridionales de la péninsule reste vraiment dérisoire. Cela ne signifie guère que l'Algérie déserte les rencontres de concertation méditerranéenne, bien au contraire. Les responsables avec qui nous avons discuté ont affirmé ne pas comprendre cette nouvelle démarche appelée «la Méditerranée centrale», qui exclut l'Egypte, le Maroc et l'Espagne, vu qu'il existe déjà le groupe des 5+5 (ministres de l'Intérieur des deux rives), plus les accords bilatéraux avec les partenaires européens. Les décideurs italiens ont, semble-t-il, sous-estimé l'attachement inconditionnel de l'Algérie à sa souveraineté et son refus de se soumettre à des «accords» non concertés dont le contenu s'oppose aux principes fondamentaux de non-ingérence et le refus de tout interventionnisme dans sa politique interne. Un fameux adage italien avertit : «Chi troppovuole, nullastringe» (qui veut trop, se retrouve avec les mains vides).