Le FMI est revenu au printemps 2017 au chevet de l'Algérie. Dans l'évaluation du risque pays, un risque monte : l'incapacité à créer un consensus autour de l'ajustement nécessaire. Cela s'appelle en langage non institutionnel type onusien, le «risque politique». Le rapport de la mission de consultation du FMI en Algérie au titre de l'article 04, validé par le conseil d'administration du FMI le 26 mai dernier, propose en encadré 1 une matrice d'évaluation des risques. Parmi une série de risques probables, notamment l'incapacité de l'OPEP à restaurer un niveau «convenable» du prix du pétrole pour cause de sources de production alternatives dans le monde, survient en bout de liste un risque intitulé «risque propre à l'Algérie». Sa probabilité est classée «moyenne» et son impact anticipé est noté «élevé». Le risque est libellé ainsi : «Un manque de consensus sur les réformes pourrait compromettre l'assainissement budgétaire et les réformes structurelles, d'où un risque d'ajustement plus brutal.» Le FMI reproche en termes diplomatiques au pouvoir politique à Alger de ne pas être en mesure de fédérer les Algériens autour d'une démarche de réforme économique nécessaire pour faire face au contre-choc pétrolier. Ne pas être en mesure, ou ne pas vouloir. Le résultat est le même à la fin. Faute d'action suffisante et opportune, «l'ajustement sera plus brutal». Le paragraphe de la colonne «riposte» préconisé par le rapport du FMI débute sans fioritures : «Les autorités devraient lancer une campagne de communication efficace sur les avantages des réformes et des coûts de l'inaction.» Mais qui est donc responsable de ce coût de l'inaction ? La gouvernance politique algérienne, bien sûr. Le FMI ne peut pas l'affirmer de façon aussi abrupte. Mais le risque est bien pointé. Le pouvoir politique algérien a-t-il pour autant totalement tort d'être lent dans sa riposte face à la rapide dégradation de ses comptes publics ? Le rapport du FMI évoque la délibération politique qui se déroule à Alger, entre un rythme trop rapide de l'ajustement, qui réveillerait un risque social et sécuritaire, et un rythme trop lent qui, dans le cas désormais admis de non-retour à des prix fortement rémunérateurs du baril de pétrole, déboucherait sur un ajustement brutal en fin de cycle. Les années Sellal correspondraient donc à la recherche de cet équilibre dans le rythme. Son premier solde est connu. Pas de réaction en 2014 et 2015 face à la chute des revenus pétroliers. Rattrapage brutal en 2016 et 2017 avec des restrictions budgétaires jugées excessives par le FMI dans ce même rapport. Le front des réformes structurelles est lui toujours inactif. D'ou ce risque élevé : l'incapacité à le mettre en route. Faute de consensus domestique autour de l'ajustement ? Faute d'impulsion politique qui mette le pays en ordre de marche pour se sauver de la banqueroute qui linéairement se pointe à l'horizon. L'importance de l'impulsion politique dans la réussite des politiques de développement a constitué un courant académique de la pensée économique. Le FMI ne fait qu'y revenir dans les termes prudents qui sont les siens. L'Algérie telle qu'elle est gouvernée aujourd'hui n'est pas en mesure de faire face aux challenges de la baisse tendanciellement historique de ses revenus extérieur-s. Le FMI ne le dit pas. Nous le disons. Dans ce même encadré sur la matrice de l'évaluation des risques en Algérie, il est préconisé dans la colonne «riposte» : «L'impact négatif éventuel sur les populations les plus vulnérables doit être atténué (par exemple, un système de transferts monétaires ciblés permettrait d'atténuer l'impact de la réforme des subventions sur les plus pauvres). Les mesures de lutte contre la corruption doivent être renforcées.» Entendre il n'est pas possible de sortir de la subvention universelle qui enflamme le gaspillage et détruit des ressources utiles sans engager en parallèle une moralisation de la vie publique. En luttant contre la corruption. On sait ce qu'il en advenu durant les années Bouteflika-Sellal. Personne ne s'attend à un signal d'une autre nature sous l'ère Bouteflika-Tebboune. A cet enchaînement quasi génétique du pouvoir politique à la marchandisation de l'influence s'ajoute une tentative de canoniser les règles du système qui le permet. Le FMI pointe des barrières à l'entrée trop élevées (pour investir), une concurrence très insuffisante pour permettre de sélectionner par le marché les entreprises innovantes au détriment des entreprises obsolètes, un accès au crédit problématique pour les entreprises privées, le maintien d'un risque budgétaire lié aux garanties apportés à l'endettement des entreprises publiques, le choix de l'arrêt de la cession d'actifs publics pour relancer l'activité, la poursuite des barrières à l'entrée au capital étranger avec notamment le non-assouplissement de la règle des 51-49. Un entrelacement de dispositions discrétionnaires qui reproduisent une rente de situation politique pour manager un capitalisme de rente. Le rapport du FMI décrète pourtant d'entrée la crise de ce modèle de croissance. Avec une intonation de fin de vie à peine cachée. L'inaction va se poursuivre. Et l'ajustement sera brutal. Le catalogue des politiques publiques pour ajuster, relancer, prévenir les surchauffes et les bulles spéculatives est libre d'accès dans le monde d'aujourd'hui. Le choix dans le catalogue et sa mise en œuvre sont de l'ordre du politique. Et de son élan fédératif. Theresa May a perdu cet élan depuis la dernière élection en Grande-Bretagne. Elle arrive à la table des négociations face à l'Union européenne en position de faiblesse pour obtenir le Brexit, le plus avantageux. En France, c'est exactement le processus inverse qui s'est enclenché grâce à l'effet Macron. Les Français ont décidé de reprendre confiance en leur étoile. Et du coup l'Europe et le Monde le leur rendent vite et bien. Paris est en position de récupérer une partie non négligeable des activités financières de la City de Londres, et les investisseurs mondiaux annoncent des intentions nouvelles de s'implanter dans ce pays qui croit en son avenir. La dynamique de l'espoir est toujours politique. Elle peut vite s'essouffler ou pas. Mais elle est essentielle pour impulser les grandes actions. Pour engager les grands virages qui font avancer les nations et les ensembles régionaux. Le Japon a voté le 19 mai dernier une loi spéciale qui ouvre la voie à l'abdication de l'empereur Akihito, une première depuis 200 ans. Le peuple nippon perçoit confusément l'ère de Akihito comme dépressive. Longue stagnation économique et succession de désastres naturels et industriels. L'empereur du Soleil-Levant n'y est bien sûr pour rien. Mais son peuple s'est soudainement mis à croire en un avenir meilleur. Et des indices de consommation et d'activités se sont redressés de manière inexplicable à Tokyo ce mois de juin. L'économie a besoin de voir le futur à travers une incarnation mouvante d'idées entraînantes. Cristallisation symbolique dans le politique. Exactement ce qui a déserté l'Algérie. Bien avant l'inversion du marché pétrolier de juin 2014.