Hoda Barakat est née à Beyrouth, capitale d'un pays meurtri qui vient de vivre un été insoutenable. Beyrouth, une ville où les assassinats politiques font partie du jeu politique, comme celui de Pierre Gemayel, il y a une semaine. Hoda Barakat a quitté son Beyrouth en 1989 parce qu'elle avait peur, pour elle, pour ses enfants, durant la guerre civile. Elle ne pouvait plus supporter une guerre en continu dans cette ville superbe, ouverte au monde, alliant Orient et Occident. Elle ne supportait plus de voir « les voitures brûlées avec des cadavres carbonisés », elle ne supportait plus la destruction. Je l'ai rencontrée à Malte et nous avions discuté du Liban bien sûr, des problèmes des banlieues en France, de son travail car Hoda Barakat est directrice de l'information à Radio Orient à Paris. Elle m'a envoyé ses trois romans et j'ai plongé dans un monde où les personnages qu'elle crée sont d'une véracité et d'une humanité surprenante. Dans les années 1980, elle avait publié à Beyrouth un recueil de nouvelles intitulé Les Visiteuses, mais c'est à Paris qu'elle s'est mise avec bonheur au roman. Hoda Barakat est une romancière qui écrit en arabe et c'est pour cela qu'elle a reçu le prix Naguib Mahfoud pour Le Laboureur des eaux en 1993. C'est une femme qui semble écorchée, profondément humaine et cela transparaît dans ses trois romans qui évoquent la guerre civile au Liban. La lecture de ses romans aujourd'hui, romans qui se situent dans les années 1980, on se rend compte de manière brutale que l'histoire se répète, que les événements d'aujourd'hui sont identiques à ceux d'hier, que les lieux décrits, aussitôt reconstruits sont détruits par les bombes d'où qu'elles viennent, les maisons sont à terre dès qu'elles sont terminées d'être construites, un peu comme une malédiction, et Hoda Barakat pose la question de manière implicite dans ses textes sur le pourquoi d'une telle fatalité ? Pourquoi le Liban est-il une terre de désolation ? Pourquoi offre-t-il au monde l'éternelle image de la dernière heure. Nombreux sont ses personnages, comme Khalil dans La pierre du rire, qui laissent entrevoir justement ce désarroi devant la répétition du malheur. Dans Le laboureur des eaux, les rapports humains démontrent combien la vie n'a plus de valeur, et, dans le même temps, la romancière sait montrer la complexité de l'être et son adaptation à n'importe quelle situation ; que dans le malheur extrême, la vie peut continuer, certes pas normalement, mais elle continue quand même. Et c'est cela qu'il faut chercher dans les romans de Hoda Barakat qui nous donne à lire la force et les faiblesses des Libanais, et par voie de conséquence celles des êtres humains. Dans Le laboureurs des eaux, Beyrouth est décrite superbement par rapport à sa situation géopolitique avec cette métaphore scientifique exprimée par le grand-père de Nicolas : « Beyrouth se situe sur une faille qui glisse de cinq millimètres par an, ce qui est tout à fait considérable à l'échelle de la dérive des continents. Un séisme l'a déjà mise sens dessus dessous. Il l'a déjà effacée de la surface de la terre par deux fois ; la prochaine est assurément imminente. Le temps est venu du troisième renversement, sans compter les destructions engendrées par les guerres. » La faille physique et humaine est présente, menaçante. L'écriture de Hoda Barakat prend sa source dans le réalisme classique. Ses histoires racontées sont bien structurées, ses personnages sont clairement définis. La romancière n'a pas d'a priori car toutes les communautés se mélangent, se côtoient. Hoda Barakat donne à lire la nature humaine et des scènes ubuesques sont décrites. Dans La pierre du rire, l'histoire de Khalil se mêle à l'histoire de la ville et de la guerre civile, et c'est ce mélange étroit où personne ne peut s'extraire de la réalité amère, qui fait la force de la fiction de Hoda Barakat : « Cela faisait plusieurs jours qu'il n'était pas allé au marché — en fait depuis l'explosion de la voiture piégée dans la rue qui conduit à la place du marché. » La stratégie des terroristes se dévoile car si une deuxième bombe n'éclate pas tout de suite, le quartier est alors sûr d'être épargné pendant quelque temps. Le hashish, le trafic de la drogue au large de Beyrouth, les femmes abusées, le spleen, la solitude, la misère sexuelle, la recherche des autres pour échapper justement au désespoir, tout cela se lit dans des textes de haute tenue littéraire. Dans Les illuminés, Hoda Barakat campe une histoire d'amour tragique entre un chrétien libanais et une musulmane libanaise, durant la guerre civile. Leur amour est si fort que « l'homme et la femme deviennent forme unique, corps unique et leurs organes se figent en un sexe unique ». L'amour, la folie, la passion, le désir, les bombardements toujours présents, la vie adulte qui se mêle à celle de l'enfance, l'homicide par passion, la mort, les zones, la ville divisée, le pays divisé, les militaires, les milices, tout cela s'entrelace. Hoda Barakat fait dire à son personnage principal, l'amoureux transi, les chances loupées : « Nous n'avons pas empoigné les cordes lancées par les ancêtres dans la ronde obscure des générations. » Elle réussit à le faire vibrer dans son amour absolu, dans sa démence, et l'objet de son amour est peut-être ce Liban qui la hante tant. Hoda Barakat est une romancière qu'il faut découvrir, car elle a l'art de pénétrer dans ce qu'il y a de plus profond dans l'être humain, son âme. Sa plume transcendante fait découvrir le vrai Liban, qui souffre, et non pas le Liban des paillettes. Hoda Barakat, La Pierre du rire, Paris : Actes Sud (1996) ; Les Illuminés, Paris, Actes Sud (1999) et Le laboureur des eaux, Paris, Babel (2001).