Après une saison estivale mouvementée en termes d'annonces et de changements au sein du gouvernement et sur la scène économique, la rentrée sociale arrive sur fond d'une crise financière qui ne fait que s'accentuer et d'un plan de redressement douloureux dans un contexte politique et économique instable. En dehors des pics de température et des feux de forêt ravageurs avec leur impact sur le patrimoine forestier, le secteur agricole et les finances de l'Etat (les promesses d'indemnisation), on aura retenu de cet été 2017, l'avant-dernier du quinquennat 2015-2019, la multiplication des décisions reflétant l'instabilité juridique sur le plan économique. Un point loin de jouer en faveur du climat des affaires affectées à chaque fois par les tergiversations, les changements de dernière minute et le manque de rigueur dans l'application des lois. Les exemples sont nombreux à ce sujet. On efface et on recommence. C'est le cas à titre illustratif pour les licences d'importation. Abdelmadjid Tebboune, qui est resté à la tête de l'Exécutif moins de deux mois (51 jours exactement), après avoir cumulé l'intérim au département du Commerce et la gestion du secteur de l'Habitat, a annoncé durant son règne une série de décisions portant, entre autres, sur le régime des licences d'importation et sur la création d'une inspection générale auprès du Premier ministère. Il a également brillé par ses tentatives de freiner les oligarques dans leur ascension au pouvoir, comme le montre l'épisode de l'affaire Haddad, Tebboune et Sidi Saïd. Par la suite, Ahmed Ouyahia, présenté comme l'homme «des missions difficiles et des sales besognes», vient corriger ce qu'a fait son prédécesseur, soit via des amendements ou des annulations (exemple, l'autorisation d'importation n'est pas soumise à l'approbation du Premier ministre, comme l'a suggéré Tebboune en juin dernier). Economie fermée Autre détail : aujourd'hui, l'ère des assurances quant à la capacité du pays à faire face aux difficultés financières est finie. Ahmed Ouyahia l'a bien relevé lors de ses différentes sorties, rappelant que la situation économique du pays est préoccupante. Des sorties dont le but de préparer les populations à accepter les mesures contenues dans son plan d'action adopté la semaine dernière en Conseil des ministres, puisque la démarche mise essentiellement sur la rationalisation des dépenses publiques. Une solution prônée depuis des années, précisément depuis la crise financière de 2008, et après le début de l'épisode baissier des cours du pétrole en 2014. Mais sur le terrain, les choses n'ont pas vraiment bougé, puisque le rythme des dépenses de l'Etat n'a pas changé. Et ce, en dépit des avertissements des institutions internationales et des mises en garde des experts nationaux. Accroché à sa politique sociale via le système des subventions et ses largesses fiscales accordées aux opérateurs économiques, beaucoup plus aux importateurs, pendant de longues années, dans le but d'arracher la paix sociale et de jouer à sa guise sur le plan politique, le pouvoir a fini par mener les caisses de l'Etat à la faillite sans avoir réussi la diversification des ressources financières. «Notre économie est restée fermée. Or, il faudrait ouvrir l'économie, alors que l'Etat mise sur la justice sociale. On a besoin beaucoup plus de liberté que de justice sociale. Une économie ouverte peut apporter en Investissements directs étrangers (IDE) de 2 à 4 fois le PIB, donc de 400 à 800 milliards de dollars. Mais au nom de la justice sociale, on tue la liberté économique et la mobilité», regrettera l'expert financier, M'hamed Hamidouche.
Situation tendue Résultat : faute de ressources financières en dehors des hydrocarbures, les caisses de l'Etat ont été asséchées à une vitesse accélérée et le fonds de régulation des recettes (FRR) est vide depuis février. Le document du plan d'action du gouvernement le dit clairement : «La situation des finances publiques est préoccupante. Le recul de la fiscalité pétrolière a généré des déficits budgétaires répétés, entraînant la consommation de la totalité de l'épargne du Trésor qui était logée au Fonds de régulation des recettes (FRR) épuisé en février 2017.»
Autre indicateur, la chute drastique des réserves de change. «L'Algérie enregistre un important déficit commercial (plus de 20 milliards de dollars en 2016), et un déficit continu de la balance des paiements (plus de 26 milliards de dollars à fin 2016)». En définitive, même au niveau extérieur, l'Algérie reste économiquement souveraine grâce aux réserves de change accumulées durant les années passées ; ces réserves de change «fondent sans cesse, passant déjà de 193 milliards de dollars en mai 2014, à 105 milliards de dollars en juillet 2017». Au final, ni l'emprunt national lancé l'année dernière en grande pompe, ni les versements exceptionnels de dividendes par la Banque d'Algérie (BA), ni l'emprunt extérieur auprès de la Banque africaine de développement, pour l'équivalent d'une centaine de milliards de dinars n'ont contribué à améliorer la situation. Ce qui fait qu'aujourd'hui «la situation demeure extrêmement tendue au niveau du budget de l'Etat». Comme conséquence, «l'année 2017 sera clôturée avec des difficultés réelles, alors que l'année 2018 s'annonce plus complexe encore», avertit ledit document pour préparer les Algériens à des années de disette. 2018 s'annonce d'ailleurs des plus difficiles sur le plan financier. Ce qui est bien souligné dans le plan d'action. «La situation demeure extrêmement tendue au niveau du budget de l'Etat : dans la situation actuelle, l'année 2017 sera clôturée avec des difficultés réelles, alors que l'année 2018 s'annonce plus complexe encore.» Et ce, même si «les pouvoirs publics semblent pour le moment favorables au maintien des transferts sociaux dans leur globalité, car il y va des équilibres dans la société, malgré que cela reste largement contraignant pour le budget de l'Etat», estime à ce sujet l'économiste Brahim Guendouzi.
Des contraintes et des risques accentués Des contraintes qui vont encore s'accentuer avec le temps. Idem pour les risques. La couleur de ces données est donnée dans le document du plan d'action : «Une incapacité à assurer la dépense publique, avec des conséquences économiques, sociales et même politiques périlleuses pour le pays.» Mais même les solutions proposées sont risquées, de l'avis des experts qui nous le feront remarquer en ce qui concerne la planche à billets prévue dans le cadre de la révision de la loi sur le monnaie et le crédit (LMC). «Il existe une tentation de création monétaire artificielle par rapport aux contreparties reconnues de la masse monétaire et donc d'un risque d'inflation à deux chiffres dont il faudra s'attendre à des effets dévastateurs sur l'économie nationale. Il est clair que tant que l'économie algérienne, reposant sur la rente pétrolière et subissant cycliquement les chocs positifs et négatifs du marché mondial du pétrole brut, continue à fonctionner à partir des mêmes ressorts, il devient alors illusoire dans ces conditions d'entrevoir une possibilité de croissance économique soutenue», notera Brahim Guendouzi, même si les choses ne sont pas encore claires, comme le pense l'expert Rafik Boumeghar. «Sur le plan monétaire, ce n'est pas clair. On ne sait pas dans quel sens les modifications vont aller. C'est toujours la même chose quelle que soit l'option, l'objectif c'est de dire on n'a pas recours à l'endettement et qu'on a intérêt à préserver nos réserves de change. Mais jusqu'à quel niveau ?», s'interrogera-t-il. Et de poursuivre : «Les ratios ne sont pas très clairs. Si on veut préserver nos avoirs étrangers, il ne faut pas que le déficit se creuse. On ne peut pas s'attendre à une augmentation des exportations à moyen terme et si on baisse les importations quid de la croissance. Car si on baisse les importations on va impacter la croissance.» Zones d'ombre Cela pour résumer que l'ajustement sera douloureux et se fera par l'inflation, même si rien n'est encore clair. Ce que relèvera également pour sa part M'hamed Hamidouche. «Si on ne précise pas dans cette loi que la banque va acheter sur le marché secondaire et non sur le marché primaire, ce sera la planche à billets. Dans ce cas, on risque une hausse généralisée des prix. Or, ce n'est pas encore clair à sujet. Il y a un amalgame à clarifier», expliquera notre interlocuteur, pour qui la situation n'est guère rassurante. «Il faudrait se focaliser sur l'économie émergente. Or, pour cela, il faut augmenter le taux de croissance et le PIB par habitant. Qu'est-ce qu'il y a dans le programme (voir contenu du plan d'action) pour arriver à une meilleure croissance ? Quel sera le taux de croissance prévu ? Le problème est là», conclura M. Hamidouche, comme pour rappeler que les objectifs ne sont pas bien tracés.