A 78 ans, le poète et cheikh du melhoun, Khaled Mihoubi, dit Ould Zine, demeure l'une des dernières figures du genre bedoui, exception faite de Beldjouher et Chalef, ses congénères. Bien qu'en retrait de la scène artistique, le barde du Sersou, invité vedette du dernier festival organisé à Tiaret par la maison de la culture Ali Mâachi, n'a pas manqué de nous entretenir sur la situation des chanteurs de sa génération du bedoui, de ses déceptions, mais aussi de son espoir de voir la relève prendre le relais. Une rencontre où se sont mêlés chants du terroir et belles mélopées pour dire toute la richesse et la diversité d'un patrimoine que Cheikh Khaled et ses semblables tentent de perpétuer, sinon de préserver de l'oubli. L'espace d'une rencontre, Cheikh Khaled Mihoubi, après avoir déclamé quelques vers en l'honneur des chouyoukh, s'est extirpé du ronron protocolaire et a bien voulu, dans son chez soi sur les hauteurs de la ville, nous entretenir sur sa riche carrière qu'illustre un salon tout aussi bardé de diplômes, d'instruments et même de vêtements propres aux chouyoukh, le tout sous un décor d'un autre âge. Issu de la tribu des Ouled Cherif, une pure souche tiarétie, Cheikh Khaled Mihoubi a vécu dans un environnement familial et social modeste, où la poésie et le chant bédoui rimaient avec peinture. Après avoir côtoyé de grands Chouyoukh, tels Mohamed Bentaïba, Hamada, Abdelkader Ould Laïd et beaucoup d'autres, celui qui s'apparente au maître local incontesté du bedoui se consacre à recueillir tout ce qui a trait à ce qui a fait la grandeur de cette époque. Autodidacte, le Cheikh a fait l'Ecole des beaux-arts et reste un personnage atypique aimant le verbe affûté, le cheval et la «gâada» sans se départir de son légendaire accoutrement. Le burnous et la djelaba, de beaux souliers en cuir, le turban, qui ajoutent aux atours d'un homme resté attaché à son passé. Dès qu'on pénètre dans le haouch du Cheikh, le dépaysement est garanti par rapport à ce modernisme rampant qui a fini par dépouiller le chez soi de tout ce qui a trait à la vie rurale. Avec ses 24 «diwans» superbement compilés et conservés tout autant que les instruments, photos ou effets personnels, Cheikh Khaled Mihoubi se targue d'être le vrai gardien du temple. Un petit musée jalousement entretenu qui en dit long sur le parcours de Ould Zine, qui ne se lasse pas de vous narrer des situations cocasses, évoque les personnalités qui ont fait la grandeur du «chiir el melhoun» à l'exemple des Abdeslem, Belahrèche, Cheikh Bentaïba, les Cheikhs Adda et Ahmed tiareti, comme pour nous rappeler ces vers Achki dhe nouba, dhori tal et ya dhel khater. Après avoir donc côtoyé de grands maîtres et chanté jusqu'en 1983, son pélerinage aux Lieux Saints de l'Islam, ce lettré, attiré par la peinture et la décoration, prendra sa retraite, pas artistique, mais professionnelle. Président de l'Association des poètes, douze années durant, Cheikh Khaled a été à l'origine de l'organisation de plusieurs festivals et rencontres, tant les adeptes du genre bedoui ne manquent pas dans la région. Ayant épuisé un premier livre édité à compte d'auteur, La poésie populaire algérienne: histoire et authenticité, Cheikh Khaled Mihoubi reste sceptique quant à l'édition d'un second qui traite de l'épopée de Mohamed Belkheir d'El Bayadh. Peu de gens, dont des responsables, accordent de l'intérêt à un genre qui meurt lentement, en dépit d'une certaine résistance. Celle de Chouyoukh de la trempe d'Ould Zine et d'une génération de poètes d'un autre acabit.