L'ahurissante charge de Madjer contre le journaliste de la Chaîne 3, lors de la conférence donnée à la fin du match Algérie-République centrafricaine, aurait pu relever de la simple anecdote si elle n'intervenait pas dans un contexte particulièrement lourd pour la presse nationale. Avec la disparition de nombreux titres, la censure imposée au site électronique TSA et les mesures de rétorsion infligées par le Pouvoir politique au journal arabophone El Fadjr en raison de sa ligne éditoriale, on a déjà là, entre autres, suffisamment de sujets de grande inquiétude pour l'avenir de cette presse déjà en décomposition pour ne pas ajouter ce traitement foncièrement dégradant à l'actif d'un entraîneur national de football envers un journaliste, dont le seul tort est de vouloir exercer son métier. La scène, qui s'est déroulée dans l'enceinte du 5 Juillet, avait quelque chose de surréaliste. Elle avait en fait de quoi susciter les pires appréhensions pour la considération et le respect devant être accordés à la profession et qui ce jour ont été encore proprement piétinés. Jamais personnalité publique, encore moins dans le milieu de la balle ronde, n'a été aussi loin dans la vindicte verbale, voire dans l'outrance, pour accabler un homme de presse, dont les commentaires ou analyses ne sont pas du goût de tout le monde. Devant un parterre de confrères ébahis et de joueurs de la sélection qui n'en revenaient pas d'assister à un spectacle aussi désolant, Madjer a saisi sûrement cette opportunité médiatique pour régler ses comptes avec un journaliste dont l'objectivité a été pourtant rarement prise en défaut. Au-delà de sa réaction pour le moins déplacée, qui ne lui ressemble d'ailleurs pas, le nouveau coach des Verts s'est cru investi, à l'image de tous les dirigeants intronisés par le système, d'une sorte d'autorité protégée pour se permettre des écarts de langage aussi maladroits et aussi dévalorisants. «Vous êtes l'ennemi de la sélection nationale !», a-t-il proféré contre ce protagoniste, qui n'était à ses yeux en ce moment plus un homme de presse auquel il fallait répondre, mais un adversaire qui méritait d'être rabaissé publiquement le plus bas possible. Cette réplique agressive de la part d'une personnalité publique, qui semble tellement imbue de sa position, traduit dans les faits la même attitude de mépris ressentie par les gens du Pouvoir envers les journalistes, particulièrement ceux qui se font un devoir de défendre, quelles que soient les circonstances, le principe sacré de la critique libre. On pourrait se demander si l'entraîneur national a du mal à s'accommoder d'une critique qui le dérange, mais la manière avec laquelle il a dérogé aux règles de la bienséance pour outrager un représentant des médias prouve qu'il s'est bien rangé du côté des pourfendeurs de la presse, même si d'aucuns pourront attribuer sa malencontreuse attaque à une perte de sang- froid. L'intention est en tout cas la même, tout son discordant est considéré comme ennemi virtuel, un élément déstabilisateur qu'il faut éliminer à tout prix. L'injonction faite au journaliste de prendre sa retraite pour laisser la place aux jeunes y est significative, alors que le pays en entier est dirigé et géré par des gérontocrates. Toujours est-il que cet incident, qui restera gravé dans les annales de la communication footballistique comme une talonnade qui a dérapé, nous renvoie aux péripéties de déprime généralisée que vit la presse nationale et qui semblent se banaliser dans un climat d'indifférence encore plus mortel. L'heure n'est plus à se demander pourquoi des journaux disparaissent subitement des kiosques, pourquoi TSA reste bloqué sur le net sans possibilité de déterminer la source du blocage, pourquoi veut-on étrangler financièrement le journal de Hazem Hadda et tous les titres qui lui ressemblent dans ses positions, mais à s'interroger sérieusement sur cette passivité chronique qui s'est emparée de la sphère médiatique, alors que la maison brûle. C'est en réalité de l'absence de solidarité que souffre la corporation pour affronter conjointement le danger de la survie qu'il faut parler au moment où le Pouvoir passe à l'étape supérieure pour annihiler toute expression qui pourrait nuire à ses projets. Il est vrai que la presse, dans sa configuration, n'est pas unie, pas homogène. Ses divisions sont profondes au point qu'elle donne l'image détestable d'un corps qui ne mène pas le même combat, ne recherche pas le même objectif. Vingt-sept ans après l'avènement de la presse plurielle, le monde médiatique aujourd'hui offre le lamentable constat d'une profession individualiste, égocentrique, morcelée, et qui plus est a perdu ses repères et ses fondamentaux sur la liberté d'expression qui sont à l'origine de sa naissance. Les fortunes sont diverses. Elles vont du droit d'échapper à la mort lente pour avoir tenu aux valeurs de l'éthique professionnelle, au ambitions d'enrichissement liées aux allégeances et aux pires compromissions. Comment entre les deux rives d'une presse devenue antagoniste entrevoir l'existence d'un mouvement de solidarité qui peut être salutaire pour tous les représentants de cette corporation ? C'est sur cette faille sensible que joue le Pouvoir pour diviser encore plus, satisfaire les plus dociles, et frapper les plus récalcitrants. Pourtant, la presse a connu dans le passé ses moments de gloire dédiés aux grands élans de solidarité éthique, morale et professionnelle, quand les gens de la famille des journalistes subissaient de manière flagrante des atteintes à l'exercice de leur métier. C'était le temps où on ne parlait pas de presse francophone contre presse arabophone, de presse publique contre presse privée, de journaux contre médias de l'audiovisuel. Le MJA (Mouvement des journalistes algériens), fondateur par sa philosophie de la presse libre en Algérie, est passé par là. La corporation paraissait alors s'entendre sur un principe intangible : appartenir à la même souche. C'est cette cohésion qui était loin d'être de façade que le régime craignait par-dessus tout avant qu'il ne s'engage à imaginer les formes les plus attractives pour la fissurer. Il ne reste à présent que des îlots de résistance de plus en plus vulnérables pour espérer défendre des causes nobles qui deviennent, en raison de l'effritement des forces, difficilement accessibles. Et dans cette optique, c'est toute la responsabilité de la corporation qui est visée. Le mal est d'abord en elle, pourra-t-elle un jour le circonscrire ?