La 28e édition des JCC s'est achevée la semaine dernière avec un Tanit d'Or remis au cinéaste du Mozambique, Lucino Azevedo pour son film Le Train de sel et de sucre, qui se déroule pendant la guerre civile et qui est plutôt documentaire que fiction. Ce film a été déjà montré et primé l'an dernier au Festival international du film du Caire. Un hommage spécial a été rendu au cinéma algérien, et l'occasion était belle de revoir les films de Mohamed Chouïkh, Moussa Haddad, Lyes Salem, d'autres encore, ainsi qu'une nouvelle production fort réussie, Ibn Badis, biopic sur la grande figure du réformisme musulman algérien, produit par l'Algérie et réalisé par le Syrien Basil El Khatib. Dans la section documentaire, le remarquable travail de recherche de Malek Bensmaïl sur la genèse et l'impact du film La Bataille d'Alger, Lion d'Or à la Mostra de Venise en 1966, une œuvre considérée comme «un modèle, un totem de la révolution», comme l'affirme un membre du Black Panther's Party Américain. Malek Bensmail a réalisé là un film passionnant de bout en bout, avec un très subtil dosage d'interviews du réalisateur Gillo Pontecorvo (archives), du producteur mais aussi acteur, Yacef Saadi, des techniciens et opérateurs d'images algériens, ainsi que d'images de tournage, de vues de La Casbah sur les traces du militant afro-américain Eldridge Cleaver, de figures mythiques de la Révolution, comme Hassiba Ben Bouali, etc. Le spectateur est soumis à un véritable flot d'informations inédites sur la genèse et l'aboutissement d'un projet historique dans le contexte du cinéma mondial et qui est demeuré captivant jusqu'à présent, attirant même l'attention de sphères inattendues, comme le Pentagone américain qui en a fait un objet d'études sur les méthodes de guérilla urbaine dans le cadre de ses stratégies militaires au Moyen-Orient. Mais si les JCC demeurent une rencontre profondément africaine, maghrébine et arabe, leur dimension internationale s'affirme de plus en plus. Ainsi, d'autres centres d'intérêt se sont révélés avec la programmation de films asiatiques englobant des productions de Corée du Sud, d'Inde, du Japon, d'Indonésie, du Népal... L'Asie est devenue un pôle fort du cinéma mondial, désormais incontournable dans les festivals et autres événements cinématographiques. La première idée que les spectateurs, et même parfois de cinéphiles, ont en général de cette filmographie asiatique se résume à l'Inde. Mais ce continent ne se résume plus à Bollywood. Désormais, d'autres pays de ce continent possèdent aussi de grands studios et font un cinéma prolifique, tous genres confondus, avec de hauts niveaux artistiques et techniques. De la Corée du Sud, A Quiet Dream, de Zhang Lu et Thuy, de Kim Jac-han ont offert deux bonnes surprises aux participants et aux spectateurs des JCC. Le premier, qui a pour cadre un quartier populaire de Séoul, nous entraîne dans un bar où trois jeunes paumés passent leur temps à essayer de séduire la jolie serveuse. Chacun est amoureux d'elle sans oser le lui déclarer. Et c'est elle qui, un jour, leur confie un rêve étrange où elle faisait l'amour avec chacun d'eux… Par la suite, la rivalité entre les trois amis s'exacerbe et la fin évite de peu un drame terrible né d'une situation qui ne l'était pas. Le deuxième film, Thuy, présente une histoire liée à la présence des minorités dans la Corée du Sud. Une Vietnamienne est mariée à un Coréen qui meurt en la laissant en butte à sa famille dont l'hostilité se manifeste assez rudement. Inspiré de faits réels, la présence de touristes japonais dans les quartiers chauds de Bangkok, le film Bangkok Nites de Katsua Tomita se déroule dans le quartier de Thania Street, à dominance touristique japonaise. Il s'y passe toutes les choses torrides et peu recommandables que l'on peut imaginer d'un quartier de nuit de ce genre. Le récit s'attache surtout à l'éclosion d'une véritable histoire d'amour entre une Thaïlandaise et un Japonais, des choses qui arrivent dans cette bonne fiction où Katsua Tomita a tout imaginé. Pour sa part, Shim Sun-ho évoque dans son film, La Sentinelle, la détresse d'un groupe de migrants clandestins dont le bateau, voguant entre la Chine et la Corée du Sud, sombre dans une violente tempête. Un rêve d'Eldorado qui se transforme en cauchemar de harraga asiatiques, comme cela arrive hélas souvent au Maghreb. La Saison des Femmes, de la réalisatrice indienne de l'Etat du Gujarat, Leena Yadav, a produit une vive émotion parmi les spectatrices de la salle Ibn Rachiq de Tunis où il était programmé. Cette œuvre au récit fort bien mené décrit la révolte d'un groupe de femmes villageoises contre l'autoritarisme des hommes et contre des coutumes traditionnelles qui les asservissent durement. Quelques clins d'œil dans le film aux récentes manifestations à Delhi et ailleurs en Inde contre la vague de violence à l'encontre des femmes. Très peu connu, le cinéma népalais était présent aux JCC. White Sun, (soleil blanc) de Deepak Rauniyar suit Chandra, un opposant au régime qui estime que la seule solution consiste à passer à la révolte. Il se rend dans les montagnes du Népal pour y rejoindre les guérilleros. Chose faite, il abandonne ses longs discours et se concentre sur la lutte armée. Le film est une très bonne réussite qui vient prouver bien que le cinéma népalais n'est pas une quantité (et qualité) négligeables. De même, le cinéma indonésien a été fort bien représenté aux JCC avec une belle production, «Solo Solitude» de Josep Anggi Noen, qui porte sur la vie et le combat du poète Wiji Thukul contraint à la clandestinité après les émeutes de juillet 1996 pour dénoncer le régime autoritaire de Jakarta. Wiji Thukul est aidé par ses amis, il parvient à quitter la capitale mais son esprit et son cœur demeurent avec sa famille, sa femme et ses enfants restés sous étroite surveillance et en danger permanent. Les histoires liées à l'apartheid sud-africain sont traitées dans plusieurs films programmés à Carthage. Dans Lettre d'Amour zoulou, de Ramadan Suleiman et dans Kalushi, de Mandla Dube. La question essentielle dans le premier film est de retrouver la trace des victimes d'enlèvements et de disparitions, avec, souvent dans ces cas, la défaillance de la fameuse commission Justice et Réconciliation qui n'aboutit à rien. Kalushi raconte la vraie histoire de Soloman Mahlangu, marchand ambulant de 19 ans, arrêté dans le quartier mythique de Soweto, puis torturé avant de pouvoir fuir le pays et de devenir après la libération, une icône de la lutte contre l'Apartheid. Pendant une semaine, à Tunis, la ferveur du public n'a pas baissé, en dépit d'un certain flottement constaté devant la salle Colisée. L'équipe des JCC, dirigée par Najib Ayed, a déployé tous ses efforts pour l'organisation, l'accueil, l'hospitalité remarquable de centaines d'invités venus du monde entier, du Japon comme d'Argentine. Une équipe cinéphile qui a su rassembler une documentation très complète et publié un magnifique catalogue de 220 pages en arabe, français et anglais. L'Algérie a bénéficié d'un traitement de faveur puisque les films algériens ont été montrés dans l'une des meilleures salles de la manifestation, L'Africa, où ils ont fait généralement belle impression. Et elle ne part pas les mains vides puisqu'au moins, le long métrage de Karim Moussaoui, En attendant les hirondelles, a reçu le prix du meilleur montage.