L'Assemblée des représentants du peuple (ARP) examine, à partir d'aujourd'hui, le projet de loi de finances 2018, préparé par le gouvernement de Youssef Chahed. Ce dernier exposera ce matin ce qu'il planifie de faire en 2018, en termes de développement socioéconomique, en ces temps de crise. La classe politique essaie au maximum de limiter les dégâts sur le couffin de la ménagère, afin de préserver le peu de crédibilité qui lui reste, après sept ans de promesses, soit depuis la chute de Ben Ali, un certain 14 janvier 2011. Pour sa part, le chef du gouvernement tente, tant bien que mal, de veiller aux grands équilibres, à savoir les balances des paiements et des échanges commerciaux, ainsi que le contrôle de l'inflation. Faute de réalisations, Chahed mise sur les acquis de popularité, nés de sa campagne contre la corruption, lancée en mai dernier. Désengagement La quasi-totalité de la classe politique, y compris les partis de la majorité, n'a pas digéré que le chef du gouvernement monopolise, à lui seul, les acquis de la campagne contre la corruption, entamée par l'arrestation du lobbyiste Chafik Jarraya et d'une dizaine de barons de la contrebande. Depuis, ladite campagne se poursuit. Mais, les politiques, y compris ceux relevant de Nidaa Tounes et d'Ennah-dha, les deux piliers de la majorité gouvernementale, se trouvent mal à l'aise, dans la mesure où le commandement leur échappe en matière de manœuvres dans la lutte contre la corruption. Le porte-parole et secrétaire général adjoint de la puissante centrale syndicale, l'UGTT, Sami Tahri, explique ces manœuvres par «les liens solides entre les hommes politiques corrompus et les barons de la contrebande, visés par la campagne contre la corruption». D'où le soutien inconditionnel de l'UGTT au combat de Youssef Chahed et la réticence de la classe politique, par rapport à cette même campagne. Certains observateurs osent même parler de désolidarisation de la majorité gouvernementale par rapport à Chahed, lors de l'adoption de la loi de finances 2018. La classe politique craint que Chahed ne soit en position de capitaliser pour les élections de 2019 et la succession de Béji Caïd Essebsi. Même les islamistes d'Ennahdha ont peur de ce jeune (42 ans) qui est sorti de l'ombre pour briller de tout son éclat. La réussite de ce jeune loup est d'autant plus grande qu'il a entamé des démarches que ses prédécesseurs n'ont ps osé aborder. Il a eu le courage de poursuivre en justice et mettre en prison des personnes intouchables sous ses prédécesseurs, malgré les infractions qu'elles continuaient à commettre au vu et au su de tout le monde. Il n'échappe pas aux observateurs, en Tunisie et dans le monde, que les gouvernements Hamadi Jebali (en 2012), Ali Laârayedh (2013), Habib Essid 1 et 2 (fevrier 2015 - août 2016) et Youssef Chahed 1 et 2 (août 2016 jusqu'à maintenant) sont des gouvernements politiques par excellence. En effet, hormis les deux gouvernements, plutôt technocrates, de Béji Caïd Essebsi, en 2011, et Mehdi Jemaa, en 2014, chargés d'organiser des élections, les six autres gouvernements devaient contribuer à réaliser les aspirations du peuple. Toutefois, les chômeurs et marginalisés n'ont pas vu la concrétisation des objectifs de la révolution. Pire, en 2012 et 2013, la Troïka, guidée par les islamistes d'Ennahdha, a compensé ses sympathisants par des versements monstres, pour les années de braise vécues en prison, ou en exil, sous Ben Ali et Bourguiba. Un rapport du Fonds monétaire international (FMI) évalue à 1,1 milliard de dinars (500 millions d'euros) le total desdites compensations. La situation des finances de l'Etat et les aides étrangères ont permis à la Troïka une telle largesse en faveur de ses partisans. Toutefois, à partir de 2014, la manne d'aides accompagnant le printemps arabe a diminué. Les gouvernements issus des élections de fin 2014 se sont retrouvés dans une impasse socio-économique. La population vivait au rythme de promesses qui n'ont jamais vu le jour. Seul Youssef Chahed a ouvert les dossiers de la corruption. Mais, beaucoup de choses restent à faire. Toutefois, les six gouvernements qui se sont succédé en Tunisie depuis la chute de Ben Ali en 2011, n'ont fait que promettre de réaliser les objectifs de la révolution. Sept ans ne leur ont pas suffi pour concevoir un nouveau modèle économique, en mesure de combattre la marginalisation de certaines régions et réduire le chômage des jeunes, notamment les diplômés. Donc, les politiques ont peur des conséquences de ces échecs. D'où le désengagement de la classe politique par rapport à des réformes de fond qui s'imposent. C'est le nœud de la querelle opposant Chahed à la classe politique. Les débats autour de la loi de finances 2018 apporteront les réponses sur la portée de ce différend.