La situation, qui dure depuis des années, a vraiment dépassé l'entendement, quand des espaces de ce lieu ont été ouverts pour la vente de djawzia et de matelas. Les différentes expositions-ventes organisées dans le hall du palais de la culture Mohamed El Aïd Al Khalifa continuent d'alimenter une grande polémique à Constantine, où certains n'hésitent pas à qualifier les vendeurs installés sur place de «trabendistes de la culture». Ces activités mal organisées, particulièrement les expos-ventes de livres, ont fait réagir des libraires de la ville. Certains parmi ces derniers, que nous avons interrogés sur ce genre d'activité, tirent la sonnette d'alarme et dénoncent une concurrence déloyale flagrante et encouragée par la direction de la culture. Ils affirment que ces activités ne sont pas légales et ne répondent à aucune norme ou loi régissant ce secteur. «Les vendeurs installés sur place n'exercent pas ce métier selon les règles de l'art, en faisant croire à la population qu'il y a une réduction sur les prix des livres. Pour nous, c'est de l'arnaque, car ces commerçants grossistes n'ont fait aucune réduction, ils vendent des livres à un prix de gros, tout en profitant le plus normalement du monde d'une marge bénéficiaire estimée à 20% pour chaque ouvrage», a déclaré un libraire qui a requis l'anonymat. «Cette exposition leur permet de se débarrasser du stock invendu de livres au détriment de la marge bénéficiaire des libraires estimée à 30%. C'est une manière très efficace pour casser le libraire, en le réduisant à un simple vendeur, dont le rôle est de véhiculer la culture en organisant des ventes-dédicaces, des rencontres avec écrivains et autres activités culturelles», poursuit notre interlocuteur. Plusieurs libraires que nous avons approchés ont rejoint les propos de leur collègue, en confirmant que ces expositions récurrentes, dont la durée doit être fixée à moins d'un mois, brisent le cercle de la commercialisation du livre et déforment l'image de la culture. «Nous ne sommes pas contre ce genre d'expositions, mais c'est devenu insupportable. Car l'expo-vente du livre n'est plus occasionnelle, elle est maintenue au cours de toute l'année et elle dure pas moins d'un mois. Depuis la rentrée scolaire, je n'ai pas vendu un exemplaire d'annales scolaires, car les parents peuvent l'avoir moins cher de 30% à El Khalifa, chez les maisons d'édition ou les vendeurs grossistes exposant sur les lieux», a riposté un autre libraire. Et d'ironiser : «Pourquoi organise-t-on alors le SILA uniquement pour une semaine ? A Constantine, le Salon du livre est maintenu quotidiennement. L'on a banalisé la culture ici et minimisé le rôle du libraire en le transformant en un simple marchand.» Une foire au quotidien Lors d'une visite effectuée hier sur les lieux, on avait l'impression de nous introduire dans une foire, sous l'effet de la haute musique diffusée à longueur de journée, qui nuit considérablement à la qualité de l'exposition, lui donnant une atmosphère de marché plus que d'un lieu de culture. En nous dirigeant vers les rayons, dépourvus d'ouvrages scientifiques ou littéraires, nous n'avions pas l'embarras du choix. Le client se retrouve souvent face aux «livres» de cuisine, des annales scolaires à gogo et quelques romans classiques, en plus des articles scolaires. Tous les libraires que nous avons abordés ont incombé l'entière responsabilité de cette «anarchie culturelle» à la direction de la culture de la wilaya de Constantine et aux gestionnaires du palais de la culture Mohamed El Aïd Al Khalifa. Pour sa part, Zitouni Aribi, directeur de la culture, a avoué ignorer les normes de commercialisation du livre, mais il a voulu associer l'image du palais de la Culture au livre plutôt qu'à autre chose. Plus précis, il a dit : «Ces expos-ventes des livres sont organisées régulièrement pour combler le vide du programme culturel. J'ignorais comment commercialiser un livre, mais j'ai accepté la proposition de ces maisons d'édition pour une exposition, afin d'améliorer le niveau des activités organisées dans le hall. J'ai pensé bien faire en les intégrant dans le programme culturel mieux que de voir des ventes de djawzia (confiserie traditionnelle), de matelas, de tapis et autres au palais de la Culture. C'était inacceptable.» M. Aribi a souligné également le manque de communication, en affirmant qu'aucun libraire ne s'est rapproché de la direction pour dénoncer quoi que ce soit. «Mes portes sont ouvertes pour tout le monde, surtout les personnes qui sont en relation directe avec la culture. J'invite ces libraires à la direction pour qu'ils puissent donner un plus et proposer de nouvelles idées», lancera-t-il.