L'abus de droit est formellement prévu dans la nouvelle rédaction de l'article 19 bis du Code des procédures fiscales (CPF), tel qu'amendé par la loi de finances 2018. La loi de finances 2014 qui avait introduit cette notion, sans la nommer expressément, était bien plus généraliste sur le sujet. Ce que la loi de finances 2014 avait prévu C'est sans doute pour mieux asseoir la non-opposabilité de clauses contractuelles entre parties, visant à justifier le traitement fiscal de certaines opérations, que la loi de finances 2014 avait offert au Code des procédures fiscales (CPF) un nouvel article 19 bis. Cet article précisait, sous le dispositif du contrôle des déclarations, que : «Lors du contrôle des déclarations ainsi que les actes utilisés pour l'établissement de tout impôt, droit, taxe et redevance, l'administration fiscale est en droit de remettre en cause la sincérité des actes ou des conventions, conclus par des contribuables, dissimulant la portée véritable d'un contrat à l'aide de clauses tendant à éluder ou atténuer les charges fiscales». Parallèlement, la loi de finances 2014 modifiait l'article 20 bis-(1) du Code des procédures fiscales pour permettre également à l'administration fiscale de conduire une vérification ponctuelle de comptabilité lorsqu'elle remet en cause la sincérité des actes ou des conventions, conclus par des contribuables, dissimulant la portée véritable d'un contrat à l'aide de clauses tendant à éluder ou atténuer les charges fiscales. Sans désigner expressément «l'abus de droit», l'administration souhaitait se prémunir contre les actes ou conventions établis en vue d'éviter ou de réduire le montant de l'impôt. L'énoncé de l'article 19 bis restait toutefois très général et permettait, tout au plus, à l'administration fiscale de consacrer un droit de rejet de toutes dispositions écrites qui justifierait une réduction de l'impôt ou sa non-application. Cette remise en cause restait, sous cette rédaction, assez vague, donnant à l'administration une appréciation unilatérale, sans recours prévu pour le contribuable, ni procédure pour confirmer ou infirmer l'intention du contribuable concerné. Cette situation est d'autant plus délicate qu'il est difficile d'établir la frontière entre l'optimisation fiscale et l'abus de droit fiscal. C'est quoi l'abus de droit fiscal L'abus de droit, dans son énoncé général, est cité à plusieurs reprises par le Code civil, dans lequel il est fait référence à l'utilisation abusive d'un droit. Il y est même précisé que l'exercice abusif d'un droit est constitutif d'une faute s'il a lieu dans le but de nuire à autrui, s'il tend à la satisfaction d'un intérêt dont l'importance est minime par rapport au préjudice qui en résulte pour autrui, ou s'il tend à la satisfaction d'un intérêt illicite. Appliqué à la matière fiscale, l'abus de droit résulte d'une démarche du contribuable pour payer moins d'impôt de manière certes légale, mais en contradiction avec l'esprit des lois en vigueur, alors que l'optimisation fiscale consiste à payer moins d'impôts par des moyens légaux, par l'usage de dispositions de loi expressément pensées pour conduire à une telle atténuation de la charge fiscale. La fraude fiscale résulte, pour sa part, d'une démarche frauduleuse. Dans des termes moins techniques, la requalification par l'administration d'une situation d'abus de droit serait le moyen donné à l'administration de s'adresser à un contribuable pour lui signifier que l'usage de la loi fiscale a été effectivement respecté à la lettre, mais pas dans son esprit. Dans ce contexte, l'administration aurait à établir que le contribuable a dissimulé la portée véritable d'une opération ou d'une transaction par un décryptage de l'intention du contribuable plutôt que de s'en tenir au contenu d'un acte ou d'une convention. La nouvelle rédaction de l'article 19 bis du Code des Procédures Fiscales fait expressément référence à la notion d'abus de droit Cette nouvelle rédaction précise qu'à l'occasion du contrôle des déclarations relatives à tout impôt, droit, taxe et redevance, les actes constitutifs d'un abus de droit ne sont pas opposables à l'administration fiscale qui est en droit de les écarter et de leur restituer leur véritable caractère. Pour mieux situer ces actes, le même article 19 bis les décrit comme des actes à caractère fictif, dissimulant leur portée véritable, ou ceux visant à créer une situation juridique purement artificielle et qui n'ont pour but que celui de bénéficier d'avantages fiscaux, d'éluder ou de minorer l'impôt exigible. Pour lever toute ambiguïté, il est indiqué qu'il s'agit d'actes qui, s'ils n'avaient pas été passés ou réalisés, auraient conduit le sujet fiscal à supporter normalement l'impôt exigible, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. Pour ne rien laisser au hasard, la qualification d'abus de droit est étendue aux actes portant sur l'assiette, la liquidation et le paiement de tout impôt, droit, taxe et redevances. Dans le prolongement de cette nouvelle rédaction de l'article 19 bis, le Code des procédures fiscales se dote d'un nouvel article 19 ter qui exclut la qualification d'abus de droit au cas du contribuable, qui préalablement à un contrôle fiscal et à la qualification des actes en abus de droit, a consulté l'administration fiscale par le biais d'un rescrit fiscal, conformément aux dispositions des articles 174 bis et 174 ter du même code, sous condition que le rescrit fiscal fasse état de tous les éléments utiles pour apprécier la portée véritable de ces actes. Il est même prévu que cet élément de début de preuve soit accepté lorsque l'administration n'a pas répondu au rescrit fiscal, dans un délai de quatre (4) mois à compter de la date de sa saisine. Enfin, pour dissuader le recours à l'abus de droit fiscal, un article 19 quinquies précise les sanctions applicables non seulement au contribuable redressé, mais également à toutes les parties qui ont participé à l'acte, prévalant ainsi le caractère solidaire pour la restitution d'une créance indue et de ses majorations, voire l'application des sanctions pénales prévues pour les cas de manœuvre frauduleuse, et en sus des majorations le risque de s'exposer à : • l'exclusion du bénéfice de la franchise de la TVA et des régimes dérogatoires ; • la possibilité de renouveler une vérification de comptabilité achevée ; • la possibilité d'élargir les durées de vérification sur place ; • la prorogation du délai de prescription de deux (2) ans ; • l'exclusion du droit au sursis légal de paiement et de l'échéancier de paiement ; • l'inscription au fichier national des fraudeurs. Devant cet arsenal de mesures coercitives, le contribuable a la possibilité de recourir à un Comité d'examen des abus de droits dans les trente (30) jours à compter de la date de réception de la notification. Un Comité d'Abus de Droit à proche horizon Le Comité d'abus de droit, qui devrait être mis incessamment en place, est prévu par l'article 19 bis du Code des procédures fiscales pour sa saisine par le contribuable, en cas de désaccord sur le fondement de la rectification pour avis. Cette rédaction consacre donc le principe d'un avis et non d'une décision, ce qui confère au comité un caractère consultatif. L'avis consultatif est également prévu dans le cas où l'administration fiscale saisit le comité, avant l'établissement du rôle, sans qu'elle n'y soit tenue, en ayant toutefois informé le contribuable. Le nouvel article 19 quarter consacre la création, auprès de la Direction générale des impôts (DGI) du Comité d'examen des abus de droit fiscal, qui dispose d'un délai de six (6) mois pour statuer sur la demande. Dans les pays à dispositif similaire, la composition de ce comité tire sa force de son indépendance, alors que dans son application algérienne on y retrouve une forte prédominance de l'administration fiscale. C'est ainsi qu'en plus du Directeur général des impôts qui a une voix prépondérante en cas d'égalité de décisions des membres, qui préside le comité et qui fixe ses modalités de fonctionnement, le comité est composé : • du directeur de la législation et de la réglementation fiscales ; • du directeur des recherches et des vérifications ; • du directeur du contentieux ; • du directeur des grandes entreprises ou du directeur régional des impôts, selon le cas ; • d'un sous-directeur à la direction générale des impôts en qualité de rapporteur ; • d'un expert-comptable ; • d'un notaire. Le comité peut, à la demande du Directeur général des impôts, faire appel au concours des personnes compétentes, notamment des professeurs de droit. L'Administration fiscale se dote ainsi d'un dispositif pour traiter des montages juridiques complexes visant à dissimuler l'évasion fiscale Si ce dispositif vise à traiter l'abus de droit, qu'il soit exercé par simulation ou par fraude à la loi, son appréhension n'est pas sans poser de difficultés. La densité et la complexité de la loi fiscale, déjà difficile à assimiler, invite à présent à connaître l'esprit dans lequel le législateur a établi le profil d'un impôt, son assiette, sa liquidation et son paiement, sans ignorer les motivations d'application de ces matières. A défaut d'adresser un rescrit fiscal clair et concis, les contribuables auront tout intérêt à anticiper sur la possible requalification de leurs actes ou conventions. La publication des avis du Comité d'examen des abus de droit fiscal sera d'un enrichissement certain pour une meilleure information des contribuables.