La police italienne a pour chef, depuis juin 2006, un universitaire spécialisé en droit constitutionnel, qui a failli devenir président de la République italienne si ses compagnons de la coalition de gauche ne lui avaient pas préféré un autre ancien ministre de l'Intérieur, Giorgio Napolitano. Personnalité politique attachée aux valeurs humanistes universelles, Giuliano Amato, 68 ans, a occupé à deux reprises le fauteuil de chef du gouvernement (en 1992 et en 2000). L'auteur de Un autre monde est-il possible ?, entre une réflexion solitaire sur la nouvelle réforme destinée à sauver la gauche du danger de la « dérive populiste de droite » et une énergique intervention au Sénat sur le système des retraites, trouve le temps d'aller narguer la camorra à Naples. Cet ancien député socialiste et vice-président de la Convention européenne, assure vouloir mettre de l'ordre dans la maison Italie, sans propagande et sans faire de l'immigration clandestine et du risque terroriste un prétexte pour justifier une politique de répression xénophobe et islamophobe. Vous avez pris part au dernier sommet de Tripoli sur l'immigration clandestine. Etes-vous satisfait des efforts de la Libye pour bloquer le flux des immigrés et pensez-vous renforcer cette coopération avec des pays comme l'Algérie, activement engagée dans la lutte contre ce fléau ? Nous sommes obligés de collaborer avec la Libye et cela a porté ses fruits, puisque le nombre d'immigrés qui débarquent sur nos côtes a sensiblement diminué, à hauteur de 900 entre 2005 et 2006. Avec les Algériens, nous avons instauré également une collaboration, et justement la cinquantaine d'Algériens, qui ont débarqué de manière inopinée en Sardaigne, il y a quelques jours, seront expulsés après une brève permanence dans l'un des centres d'accueil de l'île. Après leur identification, car il semble que beaucoup d'autres Maghrébins prétendent être Algériens... Nous laissons aux autorités algériennes le soin d'établir leur vraie nationalité. Mais à ce propos, les Algériens collaborent parfaitement. Les Marocains en font de même, à vrai dire, surtout que les Marocains représentent un véritable problème pour nous, car ils sont plus nombreux en termes de flux. Sur les derniers 20 000 clandestins qui avaient débarqué à Lampedusa les mois derniers, 8000 étaient Marocains. La police marocaine ne dispose pas encore de moyens informatiques, ce qui rend le rapatriement des immigrés, via leur identification, une tâche laborieuse. Notre participation à la conférence de Tripoli nous a permis de relancer cette coopération. Lorsque les opérations de Frontex (l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l'Union européenne) reprendront, on procédera à des patrouilles dans le désert libyen, et en collaboration avec les autorités maltaises et libyennes. Des patrouilles mixtes dans le désert pour bloquer les candidats à l'immigration clandestine avant qu'ils n'embarquent pour l'Italie ? Exactement, c'est le seul moyen de rendre cette stratégie des patrouilles utile et empêcher les clandestins de quitter le littoral Sud, car s'ils dépassent les côtes, c'est plus difficile de les intercepter. Devant ces milliers d'êtres humains qui arrivent ici, je ressens toute la solidarité qui provient de ma culture d'origine. Je suis issu de la famille de « prolétaires du monde, unissez-vous ». Je me rends compte qu'à travers les canaux de l'immigration arrivent aussi malheureusement le trafic de la prostitution, la cocaïne... Je peux affirmer être en mesure de donner le droit de citoyenneté à l'immigré qui vient par des voies légales chez nous et pour trouver du travail. Mais, je serai intransigeant, sévère, avec ceux qui contribuent à hausser le taux de la criminalité en Italie. Ce paradoxe est véritablement représenté par les populations roms, qui une fois installées tentent de s'intégrer, d'envoyer leurs enfants à l'école, alors que certains de ses membres commettent des vols et autres crimes. Vous avez invité les immigrés à dénoncer la traite des Blanches, la réduction de l'esclavage et l'exploitation. La loi les protège assez, selon vous ? Il y a des immigrés qui vivent en respectant les lois, mais il y en a d'autres qui s'adonnent à toutes sortes de délits. Nous avons eu des preuves matérielles qui démontrent comment des enfants de tsiganes sont dressés pour voler avec des méthodes barbares, comme on le fait avec des chiens rockweiller. Nous avons donc une humanité en souffrance privée de ses droits et qui les revendique, face à une autre humanité impitoyable et prête à commettre des crimes ahurissants. Si je ne veux pas que mon pays traite les premiers à l'aune du comportement des seconds, il faut être en mesure de garantir, à ceux qui le méritent, leurs droits. La loi permet aux immigrées, qui aident à arrêter ceux qui les forcent à se prostituer et gèrent des réseaux de traite des blanches, d'obtenir un permis de séjour. Mais aussi ceux qui dénoncent le racket et l'usure. Nous menons une grande campagne antiracket, mais la loi doit faire en sorte que le coupable, à cause des vicissitudes des procédures juridiques, ne se retrouve pas libre pour narguer et menacer celui qui l'a dénoncé. Comment évaluez-vous la menace du terrorisme de matrice islamiste en Italie ? La menace terroriste existe et elle pèse sur le monde pas seulement sur l'Italie, et selon moi, elle reste significative. Il y a encore des groupes terroristes actifs, mais nous sommes bien préparés pour leur faire face et les garder sous contrôle. Une activité intense des services de renseignements et l'échange d'informations avec d'autres pays, nous a, peut-être, je dis peut-être, car on ne peut raisonner qu'en fonction de ce qui a eu réellement lieu, aidés à éviter des attentas. Nous maintenons cette mobilisation en perfectionnant notamment les aspects de la technologie qui permet de prévenir ce phénomène. C'est pourquoi, je ne trouve pas démentiel, même si cela est insupportable, l'instauration des nouveaux règlements très rigides pour le contrôle des bagages à main sur les vols. Ne croyez-vous pas que la guerre en Irak a déplacé le centre de cette menace au Moyen-Orient ? On perçoit un certain relâchement dans le dispositif sécuritaire en Europe. Ceci est vrai. Il existe des théâtres de conflits qui ont concentré sur eux les énergies terroristes. Il est indiscutable que les USA, avec leur intervention contre l'Irak, aient réussi, dans un domaine au moins, à concentrer le massacre terroriste sur l'Irak. La pendaison de Saddam aggravera peut-être cela. Le tragique affrontement entre chiites et sunnites. Les musulmans qui vivent en Italie ne se sentent pas représentés par l'organisme consultatif dont les membres ont été désignés par décret par votre prédécesseur. Quelles actions comptez-vous entreprendre pour améliorer les relations entre l'Etat italien et la communauté musulmane ? L'organisme consultatif nous l'avons effectivement hérité, on verra ce qu'on en fera. Il est évident que devant le caractère diversifié de la communauté musulmane, il est difficile d'identifier un interlocuteur unique. L'Etat respecte le principe selon lequel les relations avec les différentes confessions reposent sur l'entente. Il y a eu l'effort de constituer une organisation unifiée et cela n'a pas marché, car la religion islamique ne possède pas de hiérarchie, un accord semble difficile. Il s'agit donc d'établir des relations avec tous ceux qui ont un rôle actif au sein de cette communauté musulmane. Mais nous sommes en présence de problèmes qui doivent être absolument affrontés. D'abord, face à ces écoles islamiques qui commencent à se multiplier dans notre pays. Il faut que l'Etat puisse exercer un contrôle sur le mérite des enseignants qui y travaillent et la qualité des programmes scolaires qui doivent répondre aux standards pédagogiques appliqués. Bien sûr dans le respect de ce que garantit la Constitution et les lois pour la liberté de fonder des écoles privées. Ces critères sont les mêmes que ceux que nous imposons à n'importe quelle école privée qui ouvre ses portes en Italie et qui doivent être respectés par ceux qui dispensent un enseignement à des enfants. Par ailleurs, j'estime qu'il est inacceptable d'assister à la multiplication de mosquées construites avec des capitaux qui viennent d'autres pays. Nous sommes en train d'étudier, inspirés par le modèle français, la possibilité de créer une fondation, dans laquelle feront partie des Italiens et vers laquelle conflueront toutes les ressources financières d'où qu'elles proviennent, de par le monde, et qui ont pour but de financer des œuvres civiles ou religieuses. Bien sûr, la fondation n'est pas autorisée à détourner ces fonds vers d'autres projets. Cette disposition concernera-t-elle seulement les centres islamiques ou sera-t-elle étendue à d'autres confessions ? Ceci est un problème qui se pose concrètement, exclusivement pour les musulmans. Les orthodoxes ne posent pas ce problème, ni les juifs ni les boudhistes. Je veux savoir qui finance quoi dans mon pays. Plus de transparence est souhaitable. Concernant la politique italienne, beaucoup dans l'opposition et même dans la coalition parient sur la pérennité du gouvernement Prodi. Croyez-vous qu'il va survivre jusqu'à la fin de son mandat ? Je crois que oui. Pour pouvoir défaire un gouvernement, il faut être en mesure d'en former un autre. Pour une réforme électorale qui serve à unir les uns aux autres, sur le modèle du système majoritaire à deux tours, il faut garder à l'esprit que le meilleur allié est le parti le plus important de la coalition opposée. A part la loi électorale, le réformisme ne signifie pas seulement libérer le service public. Il faut garantir une distribution plus solidaire des ressources à même de garantir aux catégories vulnérables une rémunération minimum non inférieure à un certain seuil. Pour que les contributions plus consistantes puissent soutenir les revenus les plus bas. Pour être réformistes, il n'est pas nécessaire d'être des modérés à outrance et des libéraux. Cela est utile pour ouvrir le service public à plus de concurrence, mais cela n'est pas l'unique voie. Il y a une énorme richesse financière qui a tendance à se concentrer entre peu de mains. Ce qui engendre un sentiment croissant d'inégalité qui provoque un profond ressentiment au sein de notre société. Le projet d'un grand parti démocratique voulu par plusieurs leaders de la coalition de centre-gauche est-il la solution ? Le cercle vicieux de la frustration, de la désapprobation... si on comprend cela, nous du centre-gauche, on peut trouver l'humus sur lequel on prévoit de construire le parti démocratique et le rendre plus riche et plus à même de ne pas susciter les polémiques qu'il suscite aujourd'hui. Voyez ce que sont devenus nos traditionnels partis de références en Europe : le Parti travailliste hollandais de Wouter Bos, le Parti social-démocrate allemand, bien que Oskar Lafontaine ait réussi à emporter avec lui une bonne part de la base, le Labour anglais, que le Dieu des Anglicans lui vienne en aide... Le parti socialiste en France réussit à se mimer derrière le sourire de Ségolène et joue de manière intelligente la carte féminine avec tout ce que cela comporte de politique et d'apolitique. Cela montre que nous sommes face à un problème plus général. Le danger d'un populisme de droite est là. Si la réponse ne vient pas du réformisme, elle viendra du populisme. Ce malaise de notre temps nous incite à nous occuper d'immigration, de citoyenneté et de lutte contre la criminalité avec un mélange de réalisme et d'idéalisme. Jamais l'un sans l'autre.