Après son retentissant « no sir » signifiant aux sénateurs que les Etats-unis n'étaient pas en train de gagner la guerre en Irak, le secrétaire américain à la Défense n'en finit pas de surprendre avec une étonnante franchise ou encore avec des propos qui tranchent avec l'assurance du président George W. Bush auteur d'un plan supposé sortir les Etats-unis du bourbier irakien. Robert Gates a admis en effet mardi qu'il réfléchissait à des alternatives en cas d'échec de la stratégie du président George W. Bush, en Irak, mais qu'en cas de succès, le contingent américain pourrait commencer à être réduit d'ici à la fin de l'année. « Nous espérons vraiment que cela va réussir (...) mais je pense qu'il serait irresponsable de ma part de ne pas réfléchir aux alternatives possibles si cela ne marchait pas », a dit M. Gates lors d'une audition devant la commission du Sénat sur les Forces armées. « Je déteste évoquer des choses hypothétiques mais je peux certainement imaginer les circonstances dans lesquelles nous repositionnerons d'abord nos troupes pour les mettre en lieu sûr avant de voir ce qu'on peut faire », a-t-il ajouté. Robert Gates a répété qu'un retrait américain précipité d'Irak aurait de graves conséquences pour ce pays et la région et a défendu le plan de l'Administration Bush qui a prévu d'envoyer 21 500 militaires en renfort pour mettre fin à la spirale de violences. En cas de succès de ce plan, le secrétaire à la Défense a dit qu'il espérait pouvoir commencer à réduire « plus tard cette année » le contingent militaire américain en Irak. Il a estimé que les Irakiens avaient un rôle important à jouer : « La performance des Irakiens est absolument critique pour le succès de cette opération. » Les Etats-Unis pourraient interrompre l'envoi de leurs renforts, qui doit s'étaler jusqu'à mai, si les Irakiens, de leur côté, ne respectaient pas leurs engagements militaires prévus dans le plan Bush, a dit M. Gates. Il a également estimé nécessaire un règlement politique entre Irakiens. « Le président (Bush) a dit que la patience américaine n'est pas illimitée (...). S'ils ne remplissent pas ces engagements, alors nous devons clairement changer ce que nous faisons », a-t-il ajouté. Sur le long terme, M. Gates a indiqué qu'« il y aura très probablement une présence américaine en Irak pendant un certain nombre d'années ». « Nous ne cherchons pas évidemment à avoir des bases permanentes, mais il va y avoir besoin de troupes », a-t-il dit. Voilà donc qui clarifie quelque peu le débat, sauf que l'engagement des Irakiens demeure sujet à caution, car c'est bien M. Gates qui a parlé des quatre guerres qui se déroulent en Irak pour mieux souligner la complexité de la situation qui y prévaut. Et c'est ce sombre tableau qui constitue la trame du débat actuel au Sénat. Une première conséquence semble se profiler. Tout se passe comme si le Congrès américain jugeait urgent d'attendre avant d'intervenir. Plusieurs semaines de négociations pour mettre au point une résolution purement symbolique exprimant le « désaccord » du Sénat sur la nouvelle stratégie du président George W. Bush n'ont débouché jusqu'à présent que sur un blocage institutionnel, opposant des démocrates décidés à désavouer le président Bush et sa conduite de la guerre à un état-major républicain soucieux de limiter les dégâts. D'un certain côté, le blocage confirme une réalité inconfortable pour les démocrates : leur majorité est trop étroite pour les laisser imposer leur programme, limités qu'ils sont par les droits considérables reconnus à l'opposition au Sénat. De facto, la majorité de gouvernement au Sénat est fixée à 60 voix sur 100, le seuil permettant de passer outre une manœuvre d'obstruction. Or les démocrates ne disposent que de 51 sièges au mieux — moins encore sur le dossier irakien, puisque l'indépendant Joseph Lieberman, apparenté au groupe démocrate, est l'un des plus fidèles partisans de la guerre. D'un autre côté, souligne le politologue Eric Davis, le blocage manifeste que le Sénat laisse une chance au plan Bush de fonctionner, comme l'implore la Maison-Blanche, quitte à le réévaluer dans quelques mois. « Les républicains ne sont pas encore prêts à tourner le dos à Bush, estime aussi John Mueller, professeur à Ohio State University, quand bien même certains essaient de jouer sur les deux tableaux en proposant néanmoins des textes critiquant l'administration. Mais « la situation va dégénérer, et à moins que Bush ne change, le niveau de contestation va augmenter dans l'opinion et au Congrès », prédit M. Mueller qui compare déjà le contexte actuel à celui des années 1960, quand le président Lyndon Johnson était confronté à une rébellion de ses alliés démocrates du Congrès face à la guerre du Vietnam. Prévu pour être ardu, le débat pourrait devenir plus simple car de nombreuses considérations devaient peser.