Le motif de « présentation tardive », par lequel la BCIA a rejeté, à la date du 13 mai 2003, les traites qu'elle a avalisées et qui étaient arrivées à échéance le 30 avril, a été un motif d'étonnement pour plusieurs responsables banquiers appelés hier à témoigner au procès. « Traite avalisée égal payement garanti », a déclaré Benhenni Lakhdar, actuellement retraité, mais précédemment inspecteur à la direction régionale de la BEA. « Ce n'est pas un motif de rejet », a considéré ce premier témoin qui a attesté en outre qu'hormis Sotrapla, qui avait une autorisation d'escompte limitée, aucun autre bénéficiaire de traites n'avait ce privilège à la BEA, même pas Fouatih Belkacem. Toujours au sujet du rejet, Djaâfri Bouhdjar, qui occupait la fonction de responsable à la sous-direction d'exploitation, qui est une structure administrative, et non pas, tient-il à préciser devant la cour, de directeur régional adjoint, a également considéré le rejet de la BCIA comme étant non fondé sur le plan de la réglementation bancaire. Il raconte : « Ce jour-là, à midi, je sortais de mon bureau lorsque j'ai entendu sonner le téléphone. Je décroche et j'apprends par le directeur de l'agence El Emir, banque de compensation, que des effets ont été rejetés, mais pour moi, cela n'est jamais arrivé auparavant. J'ai alors demandé si des effets avalisés peuvent être rejetés. Mon interlocuteur me donne le motif : présentation tardive. » « Devant cette situation inédite, il ira même consulter, avec d'autres employés, le contenu des articles relatifs à la gestion des traites. Nous étions dans nos droits », a-t-il déclaré avant de s'étaler sur les conditions et les décisions qui ont présidé à la gestion de cette affaire marquée par la constitution d'une cellule de crise. On était mardi 13 mai, dit-il, et le lendemain était férié, c'était le mawlid. Jeudi, il a travaillé normalement car le directeur régional était absent. Il ne verra ce dernier que le dimanche vers 15h (vendredi et samedi, les banques ne travaillent pas). Ce témoin confirme de son côté que des effets ont été tirés sur un client, mais sans qu'il y ait d'autorisation d'escompte. Aussi, alors que des inspections menées à l'agence Yougoslavie en 2001 n'ont pas décelé d'« anomalies graves », il pense qu'avant l'éclatement de l'affaire, la société Sotrapla, qui disposait d'une autorisation de crédit limitée, dépassait la ligne d'escompte prise en compte, mais uniquement avec des taux n'excédant pas 10 à 15%. Pour ce témoin, Ahmed Kharroubi, lors des entretiens qu'il a eus avec les délégations de la BEA qui l'ont sollicité, a, du moins au début, montré une disposition à payer pour tous les clients, y compris Fouatih Belkacem, sauf pour Sotrapla avec qui il aurait affirmé qu'il avait un contentieux. Pour ce dernier aspect de l'affaire, aucun des accusés (même pas Addou Samir lui-même) ni des témoins n'a pu s'exprimer clairement sur les raisons du désaccord qu'il y a entre les deux hommes qui se sont, fait corroboré par plusieurs déclarations, chamaillés au moment de la rencontre. Ahmed Kharroubi, lors de la première entrevue avec la délégation de la BEA, à laquelle a participé Dajaâfri Bouhdjar, a posé comme condition de ne parler du cas de Sotrapla qu'en la présence de son gérant : Addou Samir. Questionné par le représentant du ministère public au sujet des prérogatives d'une agence à accorder l'escompte de traites à hauteur de 3 milliards DA, le responsable de la sous-direction de l'exploitation a indiqué que « cela dépasse même les prérogatives de la direction régionale, car, en principe, au-delà de 20 millions DA, le dossier doit être transféré à Alger, à la direction générale, pour être étudié par un comité de crédits ». Il a ajouté que « lorsqu'on dépasse un certain seuil, cela relève carrément des prérogatives du directeur général ». « Trouvez-vous normal que des sommes faramineuses vont de la BEA à la BCIA ? » demande encore le procureur de la République. « Ce n'est pas normal, car si moi en tant que banque j'ai des garanties suffisantes de la part d'un de mes clients, pourquoi aller solliciter une autre banque ? », répond le même témoin avant d'ajouter : « Malheureusement, c'est ce qui s'est passé : la BCIA prenait l'argent de la BEA pour renflouer ailleurs. » Et de conclure : « Mais cela nous l'avons découvert après et ça nous froisse. » Un des avocats a posé une question sur la confiance dont jouissait Sotrapla, un ancien client et connu sur la scène commerciale. « La confiance peut disparaître à n'importe quel moment », répond le témoin. Mouvement important Le témoignage de Beloued Boumediene, l'ancien directeur de l'agence Yougoslavie (74) qu'il a quittée en 2000 pour être remplacé par Adda Larbi, abonde dans le même sens. Il précise qu'à son époque, Addou Samir disposait d'une ligne de crédit de 200 millions DA. L'autorisation d'escompte de traites avalisées l'a été à cause de nombre d'incidents dus à des problèmes de payement de chèques. « L'aval est le moyen le plus sûr », a-t-il assuré. Il confirmera lui aussi que malgré la non-mise à disposition de ligne d'escompte au profit de Ahmed Fouatih Belkacem, ce client a quand même, « une fois ou deux », escompté des traites, mais cela reste marginal. Ce même témoin rapporte que le responsable de la BCIA a bel et bien déclaré lors de l'entrevue qu'il y a eu entre eux, après le rejet des 41 traites escomptées dans la même agence : « Nous avons de l'argent pour payer. » Il parle d'échanges d'amabilités (mounawachat) entre Samir Addou et Ahmed Kharroubi pour décrire la rencontre des deux hommes, mais sans révéler le contenu des propos tenus par l'un ou l'autre des protagonistes. Plus concis, en réponse à une question d'un avocat de la partie civile, « la présentation tardive n'existe nulle part ». Aussi, en réponse à une question d'un avocat de la défense, il a considéré que l'agence n'a jamais eu auparavant un mouvement de traites aussi important. Le témoignage de Kada Aïssa Missoum, l'ancien directeur de l'agence El Emir, banque de compensation, a donné un éclairage nouveau à l'épisode du retard mis entre le 30 avril, date de réception des traites arrivées à échéance de l'agence Yougoslavie, et leur transfert le 12 mai à la BCIA. Ce témoin est sûr que « si on va aujourd'hui même à la banque, on va trouver des traites hors échéances qui passent le plus normalement du monde ». Mieux encore, il considère, exemple à l'appui, qu'« une traite avalisée, même après une année, est obligatoirement payée ». Questionné pour savoir si le retard est dû à un manque de vigilance du moment que les montants considérés ici sont exorbitants, il a juste estimé que les employés sont habitués à manipuler des sommes de cet ordre car l'agence El Emir effectue jusqu'à 1400 opérations par jour. Il déclare, en contradiction avec les propos de Adda Larbi, qu'il faut 5 à 6 jours pour effectuer ce type d'opération sauf si un responsable appelle pour donner un caractère urgent à une opération donnée. Adda Larbi, lors de sa comparution, a lui aussi considéré qu'une traite est obligatoirement payée du moment qu'elle est avalisée, mais il a voulu situer les complicités à ce niveau, du moins en s'interrogeant sur le retard inexpliqué pour lui et celui du retour de la notification du rejet envoyée par voie postale le 13 est parvenue le 18. L'ancien directeur de l'agence El Emir a attesté qu'un retard de 10 à 15 jours des traites arrivées à échéance est un fait habituel jusqu'à maintenant sans que cela ne pose de problème. Zerhouni Lahcène est un ancien directeur régional de la BEA qu'il a quittée pour une banque privée, ABC. Cette expérience n'ayant pas abouti, il a demandé sa réintégration à la BEA, ce qui a été notifié le 29 janvier 2003. Au moment des faits, il n'était pas opérationnel, devait-il préciser pour situer le débat à la période où il occupait son poste de directeur régional. Il évoquera la note destinée aux chefs d'agence qui autorisait des crédits n'excédant pas 20% des chiffres d'affaires des clients. A son époque, seule la société Sotrapla avait ce privilège pour un crédit de 200 millions DA au début mais augmenté à 400 millions juste avant de quitter sa banque pour ABC. Questionné au sujet des dépassements des lignes d'escompte, il a considéré que cela était possible, mais lorsqu'il y avait payement des traites tout rentrait dans l'ordre. Pour lui, même avec une traite avalisée, la banque qui escompte est dans son droit d'exiger des garanties et c'est pour cela que les autorisations données tiennent compte d'une évaluation des risques. La cour lui a rappelé que son fils était associé avec Addou Samir, demandeur de ligne d'escompte à la BEA, la banque qu'il dirigeait localement. Il a confirmé le fait en précisant que cette association a été concrétisée lorsqu'il était à ABC et concernait une société spécialisée dans les produits pharmaceutiques indépendante de Sotrapla. Au procureur de la République, il estimera que ce n'est pas légal d'accorder une autorisation de crédit localement sans transférer le dossier aux instances centrales. Une autre employée de la BCIA appelée à témoigner dans ce procès s'occupe du service client. Houti Rabéa a déclaré avoir remarqué un mouvement d'affaire de Sotrapla qui avoisinait six fois le chiffre d'affaires de la société. Elle a déclaré avoir tiré la sonnette d'alarme. Elle dira plus tard que ses soupçons allaient vers des transactions marchandes effectuées en noir et qu'elle n'avait à aucun moment pensé à l'argent des escomptes. Elle avait trouvé anormal que le chiffre d'affaires de cette société grimpe subitement en 2002. Un fait reste cependant inexpliqué dans son témoignage et concerne les clients Sahraoui et Bounab qui, selon elle, ont accédé au crédit avant qu'elle n'effectue une visite dans leurs locaux. Pourquoi alors avoir effectué cette visite ? lui demande-t-on. Le crédit était sous forme de bons de caisse, mais on voulait s'assurer que cet argent allait effectivement servir à assurer des transactions commerciales. Seulement, une fois sur place, à El Kerma, le hangar était fermé et le locataire (supposé) qu'elle n'a plus revu lui annonce sur place qu'il n'avait pas la clé et qu'il n'a pas ramené le bail de location. Elle déclare ne pas être au courant de l'existence d'un rapport stipulant que ces locaux ont une superficie de 1000 m2 et contenaient un stock de sucre. « Un tel rapport ne peut pas exister et nous, on a bien spécifié dans le nôtre que le hangar était fermé. » Le document de visite est resté incomplet et la question, pour ce cas, reste à savoir s'il a été remplacé par un faux. Parmi d'autres témoins cités hier, certains ayant bénéficié de traites à la BCIA ont déclaré avoir payé deux fois le montant à cause du blocage de la situation de la BCIA.