L'Italie connaît une première judiciaire en Europe. Un juge milanais a inculpé, vendredi 16 février, 26 Américains, dont la plupart seraient des agents de la CIA, ainsi que plusieurs agents des services de renseignement italiens pour l'enlèvement, le 17 février 2003, dans la métropole lombarde, d'un imam suspect. Selon le parquet, des agents de la CIA appuyés par des membres du Sismi ont enlevé l'imam égyptien Hassan Moustafa Ossama Nasr, alias Abou Omar, dans une rue de Milan, en 2003. Il aurait ensuite été conduit vers une base aérienne américaine avant de prendre un vol à destination de l'Egypte, via l'Allemagne. Il affirme avoir été torturé à l'électricité, battu, soumis à des sévices sexuels et menacé de viol. Libéré dimanche 11 février dernier, il a souhaité regagner l'Italie où, soupçonné d'activités terroristes, il fait l'objet d'un mandat d'arrêt. « J'ai été réduit à l'état d'épave », a-t-il affirmé à la presse, accusant ses geôliers de lui avoir notamment « brisé les reins ». Le procès, dont l'ouverture a été fixée au 8 juin 2007, sera le premier au sujet des transferts illégaux de terroristes présumés qui reste l'un des aspects les plus controversés de la « guerre contre le terrorisme », menée par les Etats-Unis. Parmi les prévenus figurent Jeff Castelli et Robert Lady, anciens chefs de l'agence américaine à Rome et à Milan, et l'ex-patron des renseignements militaires italiens (Sismi), Nicolo Pollari, a appris de source judiciaire Reuters. Washington a reconnu l'existence de ces transferts, mais nie tout recours même indirect à la torture. Selon Amnesty International (AI) qui détaille les coordonnées techniques et les trajets de quatre avions - entre autres - ayant servi à ces opérations, c'est un Gulfstream IV, immatriculé N85VM-N227SV qui a transporté Abou Omar d'Allemagne en Egypte, après son enlèvement à Milan. Les propriétaires de l'avion ont admis avoir loué cet appareil à la CIA, mais ils ont précisé qu'il n'était pas exclusivement utilisé par ce service. AI dénombre, pour la période allant de février 2001 à juillet 2005, 488 atterrissages ou décollages liés à de telles pratiques. AI a précisé que des pays européens ont permis à ces appareils d'atterrir, de se ravitailler en carburant et de décoller de leur territoire. « Les Etats doivent aussi s'interdire d'aider ou de soutenir les Etats responsables de ces infractions », a appelé l'ONG basée à Londres. Les prévenus américains ne devraient pas être extradés pour les besoins du procès milanais et seront donc jugés par contumace. L'affaire est suivie de près au sein de l'Union européenne, dont le Parlement a approuvé, le 14 février, un rapport sur les activités illégales de la CIA qui dénonce « la passivité » de certains Etats membres. Le rapport du Conseil de l'Europe, piloté par le sénateur suisse Dick Marty, qui dirige l'enquête européenne, cite également Alger comme l'un des « points de transfert/débarquement de détenus ». En d'autres termes, « endroits très fréquentés, où les avions ont tendance à atterrir pour de courtes périodes, généralement à l'écart de la trajectoire principale, il y existe soit un lieu de détention connu, soit une simple présomption de l'existence d'un lieu de détention ». L'Algérie n'a pas réagi à cette information. Par ailleurs, treize mandats d'arrêt ont été émis le mois dernier à Munich en Allemagne à l'encontre d'agents présumés de la CIA soupçonnés d'avoir enlevé un Allemand d'origine libanaise, transféré en Afghanistan où il affirme lui aussi avoir été torturé. Niant toute implication, les Italiens poursuivis dans le cadre de l'affaire Nasr mettent en cause les agents américains et se rejettent mutuellement les responsabilités. Romano Prodi, président du Conseil italien, a refusé de « déclasser » les documents secrets relatifs à l'affaire. Son gouvernement a porté plainte contre le parquet de Milan qu'il accuse d'avoir enfreint le secret dans son enquête sur l'implication du Sismi. « C'est un procès absurde », a pour sa part déclaré Silvio Berlusconi, chef du gouvernement au moment des faits.