Signe des temps, Shimon Peres, connu pour être un véritable chef de guerre israélien, même s'il porte l'habit de l'homme politique en quête de compromis, et même selon le message qui l'accompagne, au service de la paix, préfère se taire en ce qui concerne l'Iran. A l'entendre, il faut laisser le temps au temps, alors qu'il y a peu, le passage à la guerre contre ce pays était véritablement restreint. Que cache cette réserve qui intervient après une reprise des contacts entre l'Iran et les Etats-Unis, malgré la ferme opposition du président Bush ? Quoi qu'il se dise, il y a un dialogue officieux fait de messages lancés de part et d'autre de l'Atlantique. Bush a changé d'avis, mais les Iraniens ne cessent quant à eux d'affirmer que la décision finale appartient au guide suprême, et non pas au chef de l'Etat, souvent rappelé à l'ordre par différents milieux. Seul le contact était spectaculaire, car les premiers contacts, le week-end dernier à Baghdad entre responsables américains et iraniens représentent un progrès symbolique, à la portée limitée, pour ces ennemis de 27 ans, selon des experts. L'ambassadeur des Etats-Unis à Baghdad, Zalmay Khalilzad, a qualifié l'ambiance de ces premiers contacts bilatéraux depuis quatre ans, intervenus en marge de la conférence internationale sur l'Irak samedi à Baghdad, de « constructive » et même « joviale », des qualificatifs rarement associés aux relations irano-américaines depuis 27 ans. Il a espéré que la conférence de Baghdad soit suivie le mois prochain d'une réunion similaire au niveau ministériel, à laquelle participerait la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice. A Washington, les experts, qui exhortaient depuis longtemps le président George W. Bush et Mme Rice à ouvrir le dialogue avec l'Iran et la Syrie, ont salué cette première prise de contact tout en soulignant qu'elle n'avait pas permis de véritable percée. « La rencontre de Baghdad a indubitablement été utile, car elle a modifié la compréhension et la perception de ce que les Etats-Unis sont en train de faire », indique Patrick Clawson, expert de l'Iran à l'Institute for Near East Policy de Washington. Un avis partagé par Shibley Telhami, de la Brookings Institution, pour qui le principal acquis de cette réunion est que les deux parties se sont rencontrées et que les échanges ont été tellement réduits qu'ils n'ont pas dégénéré, ce qui aurait torpillé la réunion ministérielle du mois prochain. « Aucune des deux parties ne voulait que la rencontre échoue et elle n'a pas échoué. Mais cela signifie aussi que rien d'autre n'a été accompli », souligne M. Telhami. Les Etats-Unis avaient récemment haussé le ton à l'égard de Téhéran, déployant notamment deux porte-avions dans le Golfe, pour tenter de dissuader l'Iran à la fois de poursuivre ses activités d'enrichissement de l'uranium et de cesser ses interventions présumées en Irak. Pour Patrick Clawson, « ce petit réchauffement montre à quel point il sera difficile d'aboutir à un accord de fond entre les Etats-Unis et l'Iran sur les nombreuses questions qui les divisent ». « Je ne vois aucun signe que l'Iran ait pris la décision fondamentale que son intérêt était de coopérer avec les Etats-Unis pour promouvoir la stabilité en Irak », ajoute l'expert. Négocier n'est plus un tabou En outre, poursuit M. Telhami, le refus de Washington de discuter du programme nucléaire iranien limite la portée diplomatique de ces entretiens. « Les Iraniens ont des intérêts en Irak, cela ne fait aucun doute, mais ils ont aussi d'autres soucis au sujet de la sécurité dans le Golfe, de leur programme nucléaire, et tout cela est lié », note-t-il. « Il est finalement difficile pour les Etats-Unis de parvenir à une coopération complète des Iraniens sur les questions qui importent le plus aux Etats-Unis, sans rien leur donner en échange », conclut-il. L'ancien président réformateur iranien, Mohammad Khatami, a estimé que négocier avec les Etats-Unis n'était plus un tabou. « Aujourd'hui, ce tabou (négocier avec les Etats-Unis) a été brisé, ce qui prépare le terrain pour régler les problèmes avec un coût moins élevé, en tenant compte des intérêts du pays », a déclaré M. Khatami. Les responsables iraniens ont répété ces dernières semaines qu'ils étaient prêts à négocier avec les Etats-Unis, mais sans conditions préalables. Américains et Iraniens s'étaient parlés directement pour la dernière fois lors de la conférence de Bonn sur l'Afghanistan en 2001, après la chute du régime des talibans dans ce pays. En tout état de cause, quelque chose semble bouger, certainement pas à la vitesse escomptée, ce qui aurait été impensable. Ce qui est susceptible de préserver la région de tout nouveau conflit. Mais peut-être faudra-t-il, d'ores et déjà, voir au-delà de ce frémissement, et là les données peuvent être bouleversées.