Il est rare que la promotion d'un livre se fasse sur les lieux de son récit. En présentant lundi son roman Hôtel Saint Georges dans l'établissement éponyme, Boudjedra a signé un double événement culturel, triple en considérant la charge d'histoire de l'édifice. A l'origine, une résidence d'été ottomane transformée en pensionnat de jeunes filles, avant de devenir hôtel en 1889 puis d'être acquis vers 1920 par les Guiauchain, dynastie d'architectes. Le père, Pierre Auguste, architecte de la ville à partir de 1834, a profondément façonné Alger, traçant les voies de circulation définissant les alignements et supervisé la construction des édifices publics (Front de mer, Palais de justice, théâtre...). Son petit-fils, Jacques, qui a signé, entre autres, le Palais du gouvernement, le lycée El Idrissi et l'hôtel Caïd de Bou Saâda, a aménagé l'hôtel en 1927. ll faut signaler ici que l'orthographe exacte de l'hôtel est Saint George, l'absence du « s » étant due au fait qu'il avait été utilisé par les hiverneurs anglais et qu'il aurait été le siège de la mission britannique de Lord Saint George. D'autres sources affirment que cette version britannique du nom (sans « s ») est liée à l'épouse anglaise de Guiauchin. La graphie du roman n'en a pas tenu compte. Suite au débarquement des Alliés en 1942, il accueille en juin de la même année, une rencontre décisive entre Winston Churchill et le général Eisenhower et, en novembre, la conférence d'armistice de l'Afrique du Nord. Atteint par les bombardements nazis d'Alger, il fermera jusqu'en 1948. Mais c'est dans ses murs que se décida auparavant une grande part de la stratégie des futurs vainqueurs (USA, G-B. et France, sans l'URSS), et on y envisagea, entre autres, le scénario de partition de l'Allemagne. Outre Churchill et Eisenhower (dont une suite porte le nom), il accueillit aussi De Gaulle. Nombre de personnalités y ont séjourné : le roi de Grèce, le duc de Vendôme, le baron de Rothschild… ainsi que plusieurs écrivains : André Gide, Francis Jammes, Simone de Beauvoir, Rudyard Kipling et Henri de Montherlant qui affirma, à propos de l'hôtel : « Il y a encore des paradis. » L'hôtel a connu des aménagements en 1957-1959 (arch. Vidal), puis une rénovation-extension entre 1974 et 1982 par Fernand Pouillon qui fit appel au grand céramiste Boumahdi pour les revêtements. Rebaptisé hôtel El Djezaïr, il a rouvert en août 1982. Il comprend de véritables trésors du patrimoine dont des mosaïques romaines et des faïences et plaques anciennes. Depuis quelques années, des initiatives de mauvais goût ont altéré son immense beauté : surélévation d'une boutique sur la façade du boulevard, parking à étages inesthétique et anti-normes, fontaine de pavillon de banlieue importée et accolée à la céramique frontale du hall, lustrerie kitch, accessoires de grande surface, etc. Son jardin botanique, aux rares essences, survit d'un entretien sommaire. Un lieu aussi mythique méritait un livre. Mais il lui appartient aussi de mériter son mythe.