La wilaya de Tizi Ouzou compte 21 zaouïas où évoluent environ 500 talebs. Ces établissements qui sont « symboliquement » sous la tutelle du ministère des Affaires religieuses et des Wakfs disposent d'un important patrimoine mobilier et immobilier, constitué majoritairement de terres agricoles. Une grande partie de ces terres, estimée à des centaines d'hectares, se trouve bradée par les descendants des chefs religieux de ses confréries et parfois par des tierces personnes qui n'ont souvent aucun lien avec les habous. L'histoire du bradage des terres des zaouïas remonte à la période coloniale. Les gouverneurs français avaient en fait constaté que les habous détenaient plus de 50% du foncier en Algérie. Selon les témoignages d'historiens, avec la promulgation en 1873 de la célèbre loi Warnier ou « lois des colons » autorisant la propriété individuelle, les législateurs français ont réussi à exproprier les zaouïas de leur patrimoine foncier. Une grande partie des terrains habous a été attribuée par la suite aux quelques influentes familles maraboutiques de la région. Les hommes qui avaient exprimé ouvertement leur allégeance au colonisateur, dont même des cheikhs de zaouïas, ont été, eux aussi, remercié pour services rendus à la France. Cela explique d'ailleurs en partie l'existence tolérée des zaouïas qui servaient de relais dans la société jusqu'à une certaine époque du début de la colonisation, lit-on dans des documents historiques. Pour sauver ce qui reste des terres qui faisaient vivre à la fois les talebs et une population appauvrie par l'injustice coloniale, les tribus kabyles ont donc accepté l'établissement des actes de propriété de ces terres au nom des cheikhs qui présidaient à la destinée de ces zaouïas. Les Français ne reconnaissaient pas à cette période l'autorité ou personnalité morale des zaouïas, les forçant malgré elles à se conformer à la nouvelle loi. C'est dans ce contexte que la zaouïa du cheikh Sidi Mansour El Djennadi, fondée en 1635 dans la région de Timizart à Fréha (25 km au nord-est de Tizi Ouzou), s'est soumise à la loi injuste du colon. Au début des années 1920, des actes de propriété de terrains d'une superficie de 34 ha (sur un total de 74 ha), furent alors établis au nom du cheikh Daoui Ahmed, ancien taleb de cette zaouïa et natif de la localité de Larbaâ Nath Irathen au sud de Tizi Ouzou. L'établissement de ces actes s'est fait avec le consentement des 56 villages formant la tribu des Ath Djennad selon la tradition locale, se souviennent les anciens disciples de la zaouïa. Les archs des Ath Djennad n'ont décidé de réclamer ce qui appartient à la zaouïa de Sidi Mansour qu'au début de l'année 2000, lorsque les descendants du cheikh Daoui, décédé en 1943, auraient proclamé leur droit de possession sur la zaouïa et sur ses terrains en exhibant lesdits actes notariés. Pis, les descendants de la famille Daoui qui possèdent des terres ayant fait l'objet de partage en 1943 se seraient même dit être les fondateurs de la zaouïa de Sidi Mansour, accusent les membres du comité des sages des Ath Djennad, qui a créé dans la foulée une association religieuse pour la sauvegarde des biens de la zaouïa. Cette association n'a d'ailleurs pu obtenir son agrément qu'après deux ans à cause des pressions que les membres de la famille Daoui auraient exercées sur les fonctionnaires à différents niveaux de l'administration, explique son secrétaire général. Ambiguïté entre le Ministère et les Zaouïas Depuis 2001, l'affaire des terres qui font objet de litige entre l'association religieuse de la zaouïa et la famille Daoui est jugée au niveau de la chambre foncière de la cour de Tizi Ouzou, qui a décidé dernièrement de transférer le dossier à la chambre administrative de la même institution, apprend-on. La zaouïa de Sidi Mansour est actuellement gérée par les 56 villages des Ath Djennad en collaboration avec ladite association religieuse qui prend en charge plus de 80 talebs. L'envoi d'une commission d'enquête dans la région qui confirmera l'origine de la constitution des terres, leur gestion et l'affectation de ses revenus ainsi que la réalisation d'une expertise judiciaire demeure, aux yeux de nos interlocuteurs, l'unique solution pour « réparer cette injustice coloniale que l'Etat algérien n'a pas le droit de pérenniser. Les actes notariés datant de l'époque coloniale sont frappés de nullité et doivent de fait être annulés ». La zaouïa du cheikh L'hadj Belkacem, dans la localité des Ath Yenni, vit elle aussi le même problème et la bataille judiciaire engagée entre les descendants du fondateur de cette zaouïa et ceux auxquels a été confiée la gestion de ses biens n'a toujours pas connu son épilogue. La zaouïa de Sid Ali Outaleb, dans la commune d'Aït Yahia, à Aïn El Hammam, tente, pour sa part de récupérer ses biens fonciers qui lui sont spoliés. L'affaire suit son cours au niveau de la cour à Tizi Ouzou. Le directeur des affaires religieuses et des habous de la wilaya, Saïb Mohand Ouidir, a déclaré que le ministère de tutelle cautionne l'action judiciaire des associations religieuses de ces zaouïas sans pour autant intervenir d'une manière directe dans ces conflits. L'existence de groupes de pression à différents niveaux de l'administration freine l'élan de ceux qui veulent rétablir les zaouïas dans leurs droits. L'ambiguïté des rapports existants entre le ministère des Affaires religieuses et les zaouïas, qui bénéficient de l'appui financier, matériel et humain de l'Etat, joue un rôle négatif dans la gestion de ce dossier à travers tout le territoire national. L'enjeu est pourtant énorme. Saïb Mohand Ouidir est convaincu que la récupération des biens mobiliers et immobiliers des zaouïas n'est qu'une question de temps. « Grâce à la nouvelle législation régissant les biens habous, tous les terrains bradés seront récupérés. De nouveaux actes de propriété seront établis au nom de la direction des affaires religieuses qui pourra les gérer en concertation avec les associations religieuses de ces zaouïas », explique-t-il, confiant. La lutte de ces associations ne bénéficiera qu'au ministère des Affaires religieuses et des Wakfs qui aura d'ici quelques années en sa possession de vastes superficies agricoles. Notons que le statut particulier des terres wakfs ne permet pas l'instauration d'une taxe foncière par l'Etat. Le transfert des ces terres au ministère de l'Agriculture ou à la réalisation de projet d'utilité publique mettrait fin à ce genre de conflit qui détourne les zaouïas de leur mission initiale, celle de dispenser un enseignement religieux et coranique. Ces dernières peuvent d'ailleurs être prises en charge et d'une manière sérieuse par le ministère de tutelle. A moins que l'on veuille en faire des entités commerciales. Là, ça devient une autre histoire.