Karim Tabbou, 34 ans, nouveau premier secrétaire du FFS, explique dans cet entretien les véritables enjeux des élections législatives du 17 mai et les raisons pour lesquelles son parti les boycotte. Il revient également, avec un regard critique, sur la nature de l'Assemblée populaire nationale qu'il qualifie de « pervertie par le pouvoir » ; pour lui, il n'y a pas de Parlement même s'il y a des députés. Vous avez appelé au boycott des élections du 17 mai 2007. Quel bilan tirez-vous de votre campagne ? Nous avons fait plus qu'appeler au boycott. Nous ne sommes ni otages ni complices de la normalisation à l'algérienne. Nous avons déclaré que nous n'étions même pas concernés par ce scrutin. Quand les élections sont organisées pour discréditer et galvauder la notion d'élection, c'est-à-dire organiser une compétition électorale en dehors de toute norme de sélection, de toute norme d'organisation transparente, loin de toute norme de débat contradictoire, loin même de l'idée de choix ou même d'atmosphère de libre choix, il ne faut pas compter sur la complicité du FFS. Dans sa déclaration, le Conseil national a dit : « Le FFS a l'honneur, la liberté et le privilège de ne pas participer au scrutin du 17 mai. » Je profite de votre hospitalité pour vous rappeler les péripéties par lesquelles est passé l'acte électoral depuis 1989 à nos jours. Depuis 1991, les dirigeants successifs de ce pays ont eu pour unique souci, la restauration du régime. La conservation de l'hégémonie politique constitue le but fondamental du pouvoir, même au prix du reniement des idéaux fondateurs du mouvement de libération national et aux risques d'abdication et de dépendance vis-à-vis des grandes puissances militaires, économiques et financières. En 1991, le pouvoir en place organise unilatéralement le processus électoral sans concertation et sans négociation. L'élection a lieu, il arrête l'opération quand les résultats ne l'arrangeaient pas. Il fraude d'amont en aval, globalement et dans le détail en 1997. Il dissout les assemblées élues en 2005. Il vide les assemblées élues de toutes leurs prérogatives. Quant au bilan de la campagne, il est là : il y a d'un côté le pouvoir avec ses relais et ses démembrements locaux qui s'agitent en utilisant des moyens immoraux comme la corruption et le chantage contre les citoyens postulant au logement, aux autres indemnités sociales... pour forcer la population à participer. Plus grave encore, pour combler l'absence de la population dans la campagne, les autorités sont allées jusqu'à utiliser les mosquées en obligeant quelques imams — fonctionnaires de la religion pour faire du vote du 17 mai, un devoir divin. De l'autre côté, il y a la population qui non seulement se démarque de ce théâtre électoral, mais boude totalement tous ces commerçants du mensonge que ce soit les grossistes de l'Alliance présidentielle ou les détaillants supplétifs. La politique de la chaise vide est-elle la meilleure manière de défendre la démocratie et d'œuvrer pour le changement ? Je vous remercie pour la pertinence et la franchise de cette question. Le FFS, à tort ou à raison, a toujours privilégié le raisonnement rationnel sur le comportement émotif, la conviction sur l'intérêt ou le calcul immédiat. Ce qu'il croit être pertinent face au folklorique et l'illusoire. Il a su garder son cap et rester fidèle à son âme de résistant pacifique et de porteur de l'espérance démocratique. Il en a payé le prix, il en paie le prix, il en paiera le prix, mais il ne cédera pas. Notre position aujourd'hui n'est pas le fruit du hasard, ni le résultat d'une ruse politique, c'est le fruit et les conséquences logiques d'une ligne politique constante et aujourd'hui, plus que différente, elle est visible et lisible. Proximité avec la société dans ses combats et ses espoirs — opposition au pouvoir et ses démembrements dans ses régressions et ses enfermements, dans son entêtement et ses aveuglements. De notre point de vue, participer aujourd'hui à ces élections, c'est se rendre complice d'un pouvoir qui se sert de l'état d'urgence, de la répression politique, de la répression médiatique, du terrorisme administratif et du contrôle social pour forcer les femmes et les hommes de ce pays à l'abdication de leur souveraineté et à la capitulation. Nous sommes dans un pays où le mensonge a été élevé au rang de norme de gouvernance, plus grave encore, le mensonge officiel n'indigne même plus. Si certains ont accepté cette norme et consentent cette gouvernance contre un quota de sièges au Parlement, nous au FFS, nous sommes persuadés que l'important est d'être en communion avec l'immense majorité de la population. De notre point de vue, le pouvoir est si loin de la société, qu'il lui est étranger, il est si loin du réel qu'il est dans une autre géographie. Nous croyons que la vérité est ailleurs, le changement est possible. Si tout est figé en haut, tout bouge en bas. Nous ferons le chemin avec ceux d'en bas pour construire un projet politique démocratique pour imposer une alternative démocratique et sociale. Le FFS qui n'aime pas s'asseoir entre deux chaises a choisi de laisser vide la chaise de la table des maîtres du moment pour s'asseoir, au besoin, par terre avec la société. Le Parlement n'est-il pas une tribune d'expression importante au moment où vous dites que tous les autres champs sont fermés ? Nous l'avons pensé à une époque et nous avons participé. Nous avons dû déchanter très vite, car l'esprit de cette institution est si perverti par le pouvoir que même s'il y a des députés, il n'y a pas de Parlement. C'est au contraire lui qui, (le pouvoir) avec des techniques de corruption et de débauchage, va vous utiliser comme terrain de manœuvre et de manipulation. Nous avons tiré les leçons de notre participation pour ne plus participer au processus de légitimation du système et autres opérations infra-politiques. Rappelez-vous que lorsque nous avons eu la preuve que le Parlement était un cénacle vide de sens, nous avons adressé un mémorandum aux généraux décideurs, que nous avons déposé en 2001 à l'issue d'une marche impressionnante et pacifique. Nous essayons toujours de faire et de mettre de la politique là où se fait la décision politique. Nous avons appris à distinguer l'ombre de la proie, le mirage de la réalité, la façade du QG. Dans les conditions actuelles, nous ne pouvons qu'être septiques quant à une possibilité de changement par des élections. Une élection dont la corruption et le mensonge constituent le ciment des clans au pouvoir et de leur relais politico-maffieux. Aujourd'hui, le vrai Parlement est dans la société, il nous appartient de fédérer les députés sociaux et sociétaux pour constituer et constitutionnaliser la République démocratique et sociale promise par novembre 1954. Quelle appréciation faites-vous de la campagne électorale ? Un candidat, produit du système, a dit à la télévision et dans ses meetings : « Votez pour un fauve, il saura arracher votre part parmi les fauves ( votiw ala el wahch ydjib haqkum bine el wouhouch). » Cette phrase résume à elle seule l'ambiance et les enjeux de ce scrutin. Cette furia de la jungle est l'antithèse de la politique et du politique. Même si on se choute à l'optimisme jusqu'à la béatitude, on ne peut pas échapper au constat qu'il n'y a ni campagne ni élection. C'est du jamais vu en Algérie. L'image que je garde et que je voudrai faire partager aux observateurs nationaux et internationaux et aux millions d'Algériens, ce scrutin est un contre-référendum qui délégitime le système, sa concorde civile et sa réconciliation nationale. Il délégitime en finalité son bilan et ses options. Le taux d'abstention, le désintérêt populaire pour cette opération font que M. Zerhouni aura du mal à faire gonfler le ballon et à le faire décoller vers les seuils habituels. Cependant, les échecs du système ne nous exemptent pas de nos responsabilités, ils ne signifient pas notre victoire. Cette désaffection de la société au discours politique ambiant signifie que cette société appelle à une autre politique et à d'autres politiques (hommes, méthodes et pratiques). Quelle analyse faites-vous des derniers attentats terroristes qui ont secoué Alger ? Je veux avant tout exprimer ma compassion, ma sympathie et ma solidarité aux familles victimes de ces attentats. Conjurons les démons, chacun, chacune, tous et toutes, le pays n'en a pas encore fini avec l'aventure et le hasard. Le coût humain, politique, économique ne cesse de s'alourdir en dépit des apparences. Le pourrissement de la situation continue. Ce n'est pas à coups de marches « spontanées » de condamnation, programmées par l'administration, que l'on va répondre aux besoins de la situation. Ce n'est pas le rôle des walis et des chefs de daïra d'enrégimenter le peuple globalement et dans le détail à des fins qui n'ont rien avoir avec l'objectif proclamé. La décence et la pudeur voudraient que l'on ne sacrifie pas tout au souci électoraliste dans de telles circonstances. L'exploitation politicienne et médiatique du choc et de l'émotion populaire provoquée par ces attentats par une certaine société civile, par certaines formations politiques, constitue un dévoiement du discours et de l'action politique. Je note au passage la gestion médiatique singulière de ces événements. Chaque jour des Algériennes et des Algériens meurent alors que la télévision n'en parle même pas. Hasard du calendrier, gestion de l'information au temps de crise ou coup de starter politique à une campagne électorale comateuse ? Il est très probable aussi que ces attentats contribuent à renforcer les tenants du tout sécuritaire en Europe et notamment en France. Là, n'y a-t-il pas eu volonté préméditée ? Enfin, dans ce pays, le Président se tait, le peuple est contraint de marcher, la société civile et les partis soutiennent, les walis convoquent et le ministère de la Défense s'astreint au devoir de réserve. Seize ans après, on se retrouve à la case départ. Ces attentats nous rappellent l'urgence d'un vrai débat politique, apaisé qui recense tous les points de vue, qui élabore un consensus et qui construit un rapport de force dans la société pour construire une société démocratique et ses corollaires, un pouvoir démocratique et une alternance démocratique. Les bricolages sans lendemain rendent chaque jour plus difficile une sortie de crise. Chaque acteur et chaque témoin est interpellé en conscience. La tenue du congrès de votre parti en septembre prochain serait-elle celle du retour de l'ensemble des cadres qui sont jusque-là en retrait du jeu politique ou sans implication directe ? Je me réjouis d'aborder mes nouvelles responsabilités à un moment où le FFS se trouve en parfaite communion avec la population et au moment où toutes les instances du parti ont trouvé un accord sur la ligne politique globale et notamment en ce qui concerne la non-participation au scrutin législatif. Je suis heureux de constater qu'une logique de discussion franche et loyale de débat est en train de s'installer avec la population ainsi qu'au sein des structures du parti. La décision de non-participation au scrutin législatif a renforcé le FFS dans sa ligne directrice et dans son esprit fondateur de parti d'opposition radical et pacifique. Ce choix politique, qui a émané d'un débat libre et contradictoire, a permis au FFS de réaffirmer avec force ses options stratégiques. Pour revenir à votre question, je considère que personne n'est de trop et nul n'est indispensable. Nous sommes dans une démarche inclusive, de synthèse et de rassemblement, chacun est le bienvenu sous condition impérieuse de ne pas toucher à notre âme, notre éthique et notre ligne politique.