Si les autorités politiques concernées venaient à donner l'importance qu'il mérite au débat sur la très controversée traversée du parc naturel d'El Kala par un tronçon de l'autoroute Est-Ouest, les solutions proposées seraient un cas d'école dont pourrait tirer profit aussi bien l'Algérie que les pays confrontés au même problème. Le problème central, précise un vieil ingénieur, sorti de la bonne Ecole des ponts et chaussées de France, réside dans cette pratique pas toujours recommandable de confier à des entreprises étrangères la réalisation d'ouvrages de travaux publics clés en main. C'est, il est vrai, une pratique assez courante dans les pays développés, mais à la différence de taille que ces derniers disposent d'une grande capacité de maîtrise d'ouvrage qu'assurent efficacement les ministères chargés des Travaux publics particulièrement bien étoffés en ingénieurs sortis des grandes écoles et de surcroît très expérimentés. Ils sont capables de décrypter aussi bien les plans conçus par les bureaux d'études que les propositions de prix et de moyens à mettre en œuvre formulées par les entreprises en compétition. C'était, il est vrai, le cas de l'Algérie dont l'administration des travaux publics et ses démembrements (agence des autoroutes, direction des travaux publics de wilaya, etc.) étaient encadrés par des ingénieurs chevronnés formés à l'étranger ou à l'Ecole polytechnique d'Alger, ayant généralement pour référence les bonnes traditions héritées des Ponts et Chaussées de France. Ce n'est malheureusement plus le cas aujourd'hui, le département algérien des travaux publics ayant subi durant ces trois ou quatre dernières années une forte hémorragie d'ingénieurs parmi lesquels les plus chevronnés. Dans l'état actuel de l'encadrement de l'administration des travaux publics, il est quasiment impossible d'assurer correctement la mission très compliquée de maîtrise d'ouvrage, consistant à suivre un projet de sa maturation technique à sa réalisation en passant par la phase d'octroi des marchés. Le problème se complique encore davantage quand il s'agit de superviser de grands groupes étrangers qui disposent d'une grande capacité d'étude et de marketing. Et c'est sans doute ce qui est arrivé avec la firme japonaise Cojal, chargée de réaliser le lot Est de l'autoroute. L'administration des travaux publics ayant de surcroît octroyé, au nom de l'urgence, les travaux de l'autoroute Est-Ouest à des firmes étrangères sous forme de lots assortis de quantités et de montants fermes et non révisables, il lui est aujourd'hui impossible d'exiger de ces entreprises (comme cela aurait pu être le cas pour la traversée très controversée du parc d'El Kala), qui disposent d'un contrat de travaux clair et précis, de reconsidérer un tracé sans devoir l'indemniser. C'est sans doute cette crainte qui tétanise le ministre des Travaux publics qui s'est engagé sur un coût et des échéances. Mais il y a plus grave que cela. Le changement de tracé pourrait l'exposer à d'éventuelles contestations des nombreux soumissionnaires aux appels d'offres qui pourraient légitimement exiger un nouvel appel d'offres pour le lot Est, appelé à subir d'importantes modifications en termes de quantités et de nombre d'ouvrages d'art à réaliser, susceptibles de changer fondamentalement les propositions de prix. Les problèmes soulevés à la faveur du débat sur la traversée du parc d'El Kala ne doivent pas être balayés d'un revers de main comme c'est actuellement le cas, par les autorités concernées, car s'ils venaient à recevoir les réponses qui conviennent, elles seraient salvatrices aussi bien pour l'administration des travaux publics qui serait forcée de reconsidérer ses méthodes de travail (notamment la manière d'octroyer les gros marchés de TP), que pour la promotion des réflexes écologiques citoyens, ces derniers ayant eu le courage de soulever un problème d'ordre environnemental aussi important que celui de la préservation du parc naturel d'El Kala. Et de ce point de vue, un vieux routier des travaux publics, qui connaît très bien la région, nous apprend qu'il est tout à fait possible de faire passer l'autoroute sans déranger le parc, en faisant en sorte qu'elle traverse un tunnel long d'à peine 4 km qu'il faudrait cependant faire passer par le centre du parc naturel qui a comme on peut l'observer sur une carte la forme d'un « 8 ». Le ministre des Travaux publics avait évoqué un problème de coût pour justifier ce qui s'apparente à un entêtement qui risque de coûter encore plus cher au pays et cette fois durablement avec la perte d'un écosystème aussi prestigieux que celui d'El Kala. Il devrait songer à prendre en compte les doléances de la société civile d'autant que, contrairement à ce qu'il avait avancé, le coût du kilomètre d'autoroute ne varie pas de 1 à 10 selon qu'il est réalisé sur un terrain facile ou sur un tracé accidenté, mais seulement de 1 à 4 dans les cas extrêmes. Il faut en effet savoir que, et les ingénieurs que nous avons interrogés le confirment, un kilomètre d'autoroute revient entre 30 à 35 milliards de centimes en terrain plat et entre 100 et 120 milliards en terrain très chahuté exigeant des ouvrages d'art. Face à un tracé aussi controversé, nos interlocuteurs recommandent à juste titre que l'étude du problème soit confiée à une commission pluridisciplinaire indépendante qui ferait un rapport aux plus hautes autorités du pays pour décider en connaissance de cause. Avec l'invocation par notre ministre de délais de livraison incompressibles fixés par le président de la République, il nous paraît bien évident que ce dernier ait exigé que cela se fasse au détriment du développement durable et des richesses de la nation.