Gouvernance et démocratie, un bel assortiment de mots qui a fait, hier, l'objet d'un débat au Centre international de presse (CIP), proposé par la Confédération des cadres de la finance et la comptabilité. Economistes, juristes, syndicalistes et journalistes ont pris part à l'exercice de conjuguer gouvernance et vie citoyenne accomplie. En sa qualité d'ancien chef du gouvernement et d'économiste émérite, Ahmed Benbitour dresse un constat sans appel sur la situation qui prévaut en Algérie. Une situation qu'il a qualifiée « d'impasse ». L'ex-chef de l'Exécutif estime que toutes les conditions prouvent que les autorités du pays ne sont pas favorables au changement. D'abord sur le plan interne, souligne M. Benbitour, le matelas financier important dont jouit le pays sert à acheter le silence, à l'heure où la classe politique a prouvé son incapacité à rallier la base populaire. Le docteur en économie considère qu'il est temps de sortir « de la trappe des transitions permanentes » en passant par « un processus de libéralisation politique ». « Les autorités ont les moyens matériels de le faire mais encore faut-il le vouloir », assène le conférencier en affirmant qu'il n'existe pas en l'état actuel des choses des institutions capables de mener vers le changement ou le progrès. L'ex-chef du gouvernement propose que le changement soit l'œuvre d'une libéralisation politique négociée entre les forces de la société civile pour arriver à une réelle démocratie « celle où le pouvoir représente tous les citoyens et non une partie, et celle qui n'est pas réduite à un cycle d'organisation d'élections », dira-t-il. Evoquant le projet de révision de la Constitution, l'invité du CCFC affirme que toute révision réussie doit passer par une négociation préalable et non pas imposée. Continuant sur sa lancée, M. Benbitour considère que sur le plan politique il y a une hésitation à aller vers de réelles réformes. « Cette situation est comme faire un pas en avant et deux en arrière. On n'arrive pas à aller vers la croissance nécessaire pour le bon agencement des réformes politiques et économiques », soutient l'enfant de Metlili. Ce dernier indique que si hésitations il y a à réformer le politique, il est conseillé de commencer par une réforme économique en prenant exemple sur des régimes autoritaires qui ont su booster leur croissance économique. Plaçant le thème de « gouvernance et démocratie » dans un contexte plus général, l'invité du CCFC voile à peine la relation de son propos avec le cas Algérie. Il dira que l'accès à la rente pétrolière peut servir à freiner les libertés. « L'Etat utilise la rente pour alléger la pression sociale et transforme les institutions en canaux à des finalités distributives au lieu d'instaurer la démocratie », note-t-il en affirmant qu'un tel système est peu enclin à aller vers des réformes économiques judicieuses sauf en cas de crise. Le conférencier ira même plus loin en soutenant qu'en Algérie, « le système a acquis l'art de se maquiller en démocratie de façade » et de joindre un appel à méditer sur les 65% que représente la majorité silencieuse et à œuvrer pour que les individus et les groupes se libèrent financièrement du pouvoir. Interrogé sur le projet de révision de la loi électorale, l'ex-chef du gouvernement se dit « contre un scrutin à la proportionnelle et pour une uninominale à deux tours ». Ce type de scrutin « permet l'émergence de compétences et tranche avec les listes préétablies dont les vainqueurs sont connus d'avance », note-t-il. Abondant dans cette même dissection du cas Algérie, Yahia Zoubir, professeur à l'université Euromed à Marseille, considère que l'échec de la période de 1989 a été causé par l'absence de pacte négocié entre les différentes forces sociales. « Il faut absolument instaurer un débat franc, et c'est aux citoyens de s'organiser. La dernière abstention a été un bel exemple d'une révolution pacifique. » Pour le docteur Zoubir, l'existence d'une société civile est obligatoire pour une bonne gouvernance, qui doit aussi se baser sur la transparence, la liberté de la presse, l'indépendance de la justice et une police incorruptible. « Parmi les retombées du 11 septembre, le soutien des grandes puissances aux régimes autoritaires à façade démocratique, là où l'on confond sécurité de l'Etat avec sécurité du régime », note le conférencier. Une idée qui sera développée par le président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme, Ali Yahia Abdennour, en soutenant que « le pouvoir en Algérie se prend, s'exerce et se maintient par les armes ou par les urnes ».