Il n'y a qu'au Festival d'Avignon qu'on puisse applaudir autant de spectacles d'artistes originaires de l'Algérie, du Maghreb, du monde arabe ou africain. De l'art vivant à l'état pur. Un vrai manifeste qui fait frémir d'envie de tout voir. Impossible hélas ! A côté des quelques affiches officielles, ce sont des centaines de spectacles, aux contenus les plus neufs, décalés et variés qui se déroulent dans les lieux les plus improbables, pendant une vingtaine de jours, depuis vendredi dernier. On peut citer Rachid Akbal qui présente deux spectacles aux titres évocateurs. D'abord et Ma mère l'Algérie. L'auteur, metteur en scène et comédien, explique avoir longtemps imaginé le pays à travers les larmes de sa mère. « Bercé par son chant d'amour pour une terre de misère, j'ai grandi avec la certitude que j'irai y chercher un jour mon dû de racine ». Il jouera ensuite l'envers du couple originel, le père, dans Baba la France, cherchant « le souvenir de son père disparu en France pendant la guerre d'Algérie. » Il retrace le parcours de Baba la France, Algérien indigène qui, en 1948, rejoint la France en quête d'une vie meilleure. Un peu plus loin, l'association Repères, qui œuvre au rapprochement interculturel, donne une œuvre du défunt sociologue Pierre Bourdieu, qui avait débuté sa carrière avec une réputée Sociologie de l'Algérie. Il s'agit là « Des bêtises de rien du tout… » d'après La misère du monde : l'histoire de M. Meunier qui vit dans un modeste pavillon de banlieue. Son enfer, c'est les autres. Elle vit cruellement la différence de culture et se sent envahie par ces étrangers, dans sa maison, son jardin public, son pays… Au détour d'une ruelle du vieil Avignon, à deux pas du célèbre pont, on découvrira aussi avec étonnement Ali au pays des merveilles d'Ali Bougherada. Un one-man-show. Pas très loin de là, on plonge dans les contes, avec Les premières larmes du monde présentées avec finesse par Aïni Iften. « Ma mère chaque jour me berçait avec des contes traditionnels kabyles. Je rêvais sur ces personnages : l'ogresse, la princesse ; mais le décor n'était pas celui des montagnes de Kabylie, c'était celui des HLM de l'usine Renault ». A moins que vos pas ne vous transportent jusqu'à Koléa, via le mouvement théâtral de cette ville qui a traversé la mer pour être présent avec La fabuleuse de Youcef Taouint. Les comédiens en sont : Camélia Ben Drissi, Youcef Habouche, Mohamed Halimouche, Mohamed Amine Ikhlef, Billel Hamoudi, Amina Lachter, Cherif Laribi. Poétiquement encore, on pourra choisir Shéhérazade adapté des Mille et Une Nuits de Jamel Eddine Bencheikh et André Miquel, ou bien l'éternel Prophète de Khalil Gibran avec Michel Le Royer, Francesco Agnello, Michael Lonsdale. Les arcanes d'Avignon peuvent ainsi nous faire voyager au Liban avec Darina Al Joundi (actrice de cinéma et de théâtre éminemment reconnue dans son pays). Enfant de toutes les guerres du Liban, elle a brûlé son enfance et sa jeunesse à Beyrouth, ville de tous les excès. A moins qu'on préfère le Maroc et Saïda, Jawad ou la Tunisie de Nacer Khemir et son Chant des Génies. Et ce n'est là qu'une partie de ce qui est proposé, « officiellement » dans un off foisonnant. Des artistes qui ne trouvent pas de place dans les circuits font de l'impro, du tout venant, même dans la rue, là où l'on se laisse aller à croire que la culture existe. Epoustouflant.