Giuliano Amato, lui-même d'origine sicilienne, n'était pas sans ignorer la susceptibilité (qu'on dit héritée de la présence arabe ancestrale) de ses concitoyens de la plus grande île de la Méditerranée, mais il était loin de prévoir une réaction si vive de la part des politiciens siciliens et une levée de boucliers si prompte des grandes personnalités du monde de la culture, issus de la même origine. Rome : De notre correspondante Une simple déclaration, lors de la conférence organisée, mercredi dernier, par son ministère pour discuter de « l'Islam et l'intégration, les initiatives et expériences, en Italie et aux Pays-Bas », qui expliquait que la violence contre les femmes était « liée à des traditions siciliennes et pakistanaises », a fait de lui l'ennemi des Siciliens. Il faut dire que le chef de la police italienne, juriste et homme de grande culture, a tenté d'expliquer qu'aucune religion ne justifiait, selon lui, l'agression des femmes. « En homme qui a confiance dans la religion, je dis qu'aucun Dieu ne permet à un homme de frapper une femme. Il n'est pas prévu qu'il le fasse. Mais il y a une tradition sicilo-pakistanaise qui veut faire croire le contraire. » Amato a ensuite ajouté pour lever toute équivoque : « Il faut sortir de cette tradition, afin que ce qui est un conflit de cultures ne passe pas pour un conflit de religions. Le Coran n'a rien à voir là-dedans. » Ces quelques mots, dictés par le bon sens et l'esprit lucide de l'homme qui fut chef du gouvernement, ont provoqué un véritable tonnerre dans le ciel torride de l'été sicilien. Pourtant, le représentant du gouvernement de Prodi avait fait référence aux films cultes du cinéma italien qui ont affronté le thème du machisme italien et de la violence contre les femmes dans les décennies passées. Il cita même Divorce all'italienne, le chef-d'œuvre de 1961, avec l'inoubliable Marcello Mastroianni dans le rôle principal, arrachant un grand rire bon enfant à son homologue hollandaise, Ella Vogelaar, présente à la rencontre. Amato a eu le tort de dire tout haut ce que les Italiens pensent tout bas. C'est-à-dire que le machisme italien, battu par une législation qui protège la dignité des femmes, persiste encore dans certains esprits rétrogrades. Faut-il rappeler que l'Italie est le seul pays européen où, jusque dans les années 1970, les auteurs d'homicides cyniquement appelés « délits d'honneur » bénéficiaient de circonstances atténuantes et s'en tiraient avec 3 ans de prison ? Le mari, qui accusait sa femme d'adultère, pouvait attenter à sa vie, à celle de l'amant et même à celle de ses parentes retenues « coupables » d'entretenir des relations hors mariage. Ce n'est qu'en 1981 que cette loi barbare fut définitivement abrogée. Pour les partis, les responsables chrétiens n'ont pas aimé les propos d'Amato qui, à la même occasion, a regretté. « Je suis désolé de le dire, mais ils sont trop nombreux, parmi mes concitoyens – une minorité mais trop quand même - qui, au nom des valeurs chrétiennes, veulent repousser les autres. Quelqu'un doit leur expliquer qu'il n'est pas juste de se préoccuper pour les embryons (allusion à la position antiavortement de l'Eglise) pour repousser ensuite des êtres humains déjà nés, surtout quand ils entrent de manière civile dans notre pays. » Et pour enfoncer davantage le clou, le ministre de l'Intérieur ajoute : « Je serais heureux si dans les paroisses on se mettait à discuter des thèmes de l'immigration. » Amato, que les médias italiens avaient coutume de désigner avec l'épithète « Docteur subtil » pour la finesse de ses discours, a sérieusement risqué cette fois une double excommunication. Les musulmans d'Italie, dans un geste de solidarité spontanée, lui ont proposé de choisir l'un de leurs pays pour un éventuel exil forcé.