La libération des infirmières bulgares marque l'aboutissement de tractations secrètes coordonnées par Bruxelles et dopées par l'intérêt européen pour ce pays stratégique qu'est la Libye comme par la volonté de Kadhafi de s'affirmer sur la scène internationale. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a souligné hier que ce dénouement résultait d'efforts « de longue haleine » menés par « beaucoup ». Parmi eux, la commissaire européenne aux Relations extérieures Benita Ferrero-Waldner qui, dès sa nomination fin 2004, s'est attaquée à ce dossier. L'ex-Premier ministre britannique Tony Blair, qui présidait l'Union européenne au deuxième semestre 2005, a été l'un des premiers dirigeants européens à y mettre beaucoup d'énergie. Avec l'entrée de la Bulgarie dans l'UE au 1er janvier 2007, les efforts européens se sont intensifiés. Au premier semestre 2007, la présidence allemande de l'Union faisait de ce dossier une priorité. Le 11 juin, le chef de la diplomatie allemande Frank-Walter Steinmeier faisait avec Mme Ferrero-Waldner un nouveau déplacement à Tripoli à l'issue duquel les dirigeants libyens assuraient que l'issue était « proche ». Mme Ferrero-Waldner et les présidences successives n'ont cependant jamais divulgué la substance de ces pourparlers avec les responsables libyens, présentés par tous comme des interlocuteurs extrêmement complexes. « Ceux qui connaissent un peu la Libye savent à quel point il est difficile d'avancer dans des négociations pareilles », a ainsi souligné hier M. Barroso qui n'ira pas plus loin dans la critique. Dans cette affaire, les Européens ont toujours ménagé les Libyens, soulignant hier encore « le geste d'humanité de la Libye et de son plus haut dirigeant ». La Commission a aussi affirmé la semaine dernière que c'était avec de « l'argent libyen » qu'avaient été dédommagées les familles des enfants, soit quelque 460 millions de dollars au total : une affirmation dont beaucoup d'observateurs doutent mais qui « permet à la fondation Kadhafi de s'approprier le dénouement » de cette affaire, souligne une source diplomatique. L'argent européen a cependant bien joué un rôle clé, selon cette source ayant requis l'anonymat, et sera comptabilisé sous forme de projets divers (recherche sur le sida, aide aux victimes de la maladie, etc.). Au souci des Européens de ménager Tripoli pour sauver la vie des infirmières s'est ajoutée la volonté du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi de s'affirmer sur l'échiquier international, après des années d'isolement dû aux attentats de la discothèque à Berlin (1986), Lockerbie (1988) et l'avion d'UTA (1989). L'affaire des infirmières a, selon la source diplomatique, permis « des contacts diplomatiques intenses » entre Européens et Libyens, une bonne base pour le « renforcement des relations diplomatiques » annoncé hier. Les relations avec Tripoli devraient ainsi s'aligner bientôt sur celles existant avec les autres pays d'Afrique du Nord, avec toute l'aide financière européenne que cela entraîne. Ce désir de Kadhafi de s'affirmer explique aussi l'intervention tardive mais déterminante du président français Nicolas Sarkozy et son épouse Cécilia. Et Paris se retrouve bien placé face à la Grande-Bretagne, l'Italie ou les Etats-Unis, pour profiter du rapprochement avec ce pays stratégique, car la Libye, avec laquelle les relations européennes restent timides malgré la levée des sanctions en 2004, est intéressante à plus d'un titre. Ses hydrocarbures sont importants pour les Européens qui veulent diversifier leurs sources d'énergie.