Chaque soir à minuit, heure prédestinée, au théâtre La luna, un lieu dont le nom est tout aussi indiqué, la nuit avignonnaise s'ouvre à la découverte des Mille et Une Nuits. Un spectacle sensuel et subversif. Avignon : De notre envoyé spécial Le spectacle est divertissant, enjoué, un brin sensuel et libertin, mais intelligent. « Les Mille et Une Nuits est le combat du plaisir et de la parole contre la mort. La vie de Schéhérazade est liée à sa parole, chaque conte lui sauve la vie », estime le metteur en scène Didier Laval. On croit connaître cette histoire de ce sultan qui n'aime chez la femme que sa virginité. Chaque femme « consommée » est vouée à la mort. Jusqu'à ce qu'arrive Schéhérazade qui, par ses récits, captive le souverain. La version offerte à Avignon, incarnée par Samia Jadda, veut casser les mythes véhiculés par une histoire qui fit les beaux jours de l'orientalisme. « On a travaillé sur le côté subversif du texte », nous explique Didier Laval. « On a une Schéhérazade qui joue à la fois sur les couleurs viriles et féminines. Dans les intermèdes, on a introduit un personnage qui fait plus appel à l'imaginaire théâtral, avec un travesti qui questionne la part de virilité et de féminité qui est en chaque être humain. Ce travesti fait écho à la société moderne, à la place de la femme, et de la masculinité aujourd'hui. » L'adaptateur veut aussi faire un pied de nez « aux clichés et fantasmes coloniaux et néo-coloniaux ». Selon lui, on ne peut pas monter Les Mille et Une Nuits sans penser et lutter contre cet univers mental : « Il y a une image de Schéhérazade, la reine envoûtante de la nuit arabe, devenue un fantasme de l'homme blanc dominant, qui voudrait avoir sa femme docile. Beaucoup de spectateurs, qu'ils l'avouent ou non, viennent aussi pour qu'on leur serve cette image. Le but est bien de leur donner ça, mais aussi de les surprendre, les emmener autre part. Ils sortent en ayant ri, mais aussi en ayant un peu été dérangés par notre vision différente. » La Franco-Algérienne Samia Jadda, comédienne multiple, déjà vue au cinéma et dans des téléfilms (dont Il était une fois Donyazad de Merzak Allouache), apprécie beaucoup ce rôle qu'elle doit à une rencontre avec André Miquel à l'Institut du monde arabe. « C'est un challenge que j'avais envie de relever. C'est hyper jouissif pour moi de pouvoir écorner les mythes, d'être une femme. La femme n'est pas cette odalisque qu'on voit dans le harem, lascive et contente de sa situation. J'ai beaucoup lu Fatima Mernissi et Assia Djebar pour pouvoir interpréter ce personnage et, pour moi, il est intéressant de montrer que la femme n'est pas heureuse de sa captivité, c'est une femme très libre. Simplement, la soumission ne se situe pas au même niveau en Occident et dans les pays arabes. Elle va être plus géographique dans les pays arabes, avec la séparation entre le monde de la rue et de la maison, mais pour autant, la femme est beaucoup plus intellectuelle. Le premier pouvoir érotique dans le monde arabe est son intellectualité, son intelligence. Et Schéhérazade est le parfait personnage pour représenter la liberté de la femme arabe. » La comédienne s'avoue rassurée par les paroles de spectatrices d'origine arabe à la fin du spectacle : « Elles viennent me dire : cette fois ça y est, les hommes ont entendu tout ce qu'on a dans la tête. Ce que je dis tout haut, c'est le monde secret et intérieur de la femme, d'avoir de la force, d'être un être de désir, de revendiquer le plaisir, d'avoir les capacités de se diriger et de devenir roi. » Samia Jadda, en septembre, reprend les chemins des plateaux, avec un film de France 3 dans lequel elle jouera avec Fellag.